Le sommet de Vilnius: vers un rapprochement des pays du Partenariat oriental avec l’UE ?

Par Henri-François Caudrelier | 13 octobre 2013

Pour citer cet article : Henri-François Caudrelier, “Le sommet de Vilnius: vers un rapprochement des pays du Partenariat oriental avec l’UE ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Dimanche 13 octobre 2013, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1743, consulté le 06 juin 2023

Les 28 et 29 novembre prochains se tiendra à Vilnius le troisième sommet du Partenariat oriental (PO). Ce programme encadre les relations de l’Union européenne (UE) avec ses voisins de l’Est - Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine. Si plus de quatre ans après sa création, "l’Ostpolitik" européenne a permis un rapprochement économique et commercial avec les Etats d’Europe orientale et du Caucase du Sud, les divergences restent nombreuses tant du côté des Etats membres que des pays partenaires.

Sur une initiative suédo-polonaise, l’Union européenne s’est doté en 2009 d’un cadre politique propre pour ses relations avec les pays de son voisinage Est. Celui-ci s’inscrit dans le cadre de la Politique européenne de Voisinage (PEV) qui, lancée en 2003, vise à redynamiser le rapport qu’entretient l’UE élargie suite aux vagues de 2004 et 2007 avec ses nouveaux voisins. Le document d’orientation sur la politique de voisinage, publié quelques jours après la vague d’élargissement de 2004, reprend presque mot pour mot les objectifs de l’élargissement : «  faire partager aux pays voisins les bénéfices de l’élargissement de l’UE pour renforcer la stabilité, la sécurité et le bien-être de l’ensemble des populations concernées ».

Il s’agit donc de poursuivre ce « dogme de l’élargissement » (M. Maresceau) envers des pays qui peuvent légitimement se référer à l’article 49 TUE (fixant les conditions pour demander l’adhésion) sans toutefois le reconnaître officiellement comme pour les Balkans. La méthode employée ressemble à s’y méprendre à celle de la pré-adhésion : l’UE se place en puissance « transformatrice » en exportant son acquis, ses valeurs, sa prospérité.

Les pays du Partenariat oriental se plaignent de cette ambiguïté alors même que leur « européanité » leur a été d’emblée reconnue par R. Sikorski le ministre des affaires étrangères polonais qui a lancé l’initiative en 2009: « To the South, we have neighbours of Europe. To the East, we have European neighbours ».

Un rapprochement à plusieurs vitesses, des intérêts différents

Dans ce cadre, les chefs d’Etats ont prévu de se rencontrer tous les 2 ans pour faire le point sur l’avancement des négociations et fixer de nouveaux objectifs. Après Prague (2009) et Varsovie (2011), le sommet de Vilnius doit ainsi permettre à la fois de signer ou parapher les accords d’association et de libre-échange (DCFTA) dont les négociations ont été très récemment conclues et d’insuffler une nouvelle dynamique pour l’avenir.

Il y a en effet un véritable engouement pour l’intégration européenne dans certains pays partenaires comme l’Ukraine ou la Moldavie.  En septembre dernier, le Premier ministre moldave déclarait dans un entretien au journal Le Monde « la Moldavie a fait son choix, c’est l’intégration européenne ». A l’inverse de la Moldavie, l’Azerbaïdjan considère le PO comme un simple moyen de s’assurer un meilleur accès au marché européen. Le Belarus a même tout simplement quitté le programme à l’occasion du sommet de Varsovie en 2011.

Du côté des pays membres de l’UE, même divergence sur la finalité du PO. Certains pays (France, Pays-Bas, Autriche, Espagne, Portugal) y voient un projet d’intégration ambitieux mais alternatif à l’élargissement. Pour d’autres (Pologne, Etats Baltes, Roumanie, République Tchèque), ce partenariat est considéré comme une étape intermédiaire vers l’intégration pleine et entière.

Le compromis trouvé aujourd’hui est donc de mener « une politique des petits pas » : une intégration progressive tant économique – via les signatures d’accord de libre-échange visant à créer un marché commun – que politique – via l’intégration dans différents programmes régionaux. Sur ce dernier point, la Moldavie et l’Ukraine ont par exemple intégré en 2010 et 2011 la Communauté européenne de l’énergie alors que celle-ci était destinée aux Etats des Balkans occidentaux, candidats à l’élargissement.

Une présence russe qui se renforce dans la région

Le sommet de Vilnius se tiendra dans un contexte de renforcement de la présence russe chez ses « étrangers proches », membres de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). Vladimir Poutine oppose au PO un projet d’Union douanière, composée actuellement de la Russie, du Kazakhstan et du Belarus. L’objectif ? Donner naissance dès 2015 à une « Union eurasiatique », afin de réunir les Etats post-soviétiques autour du grand-frère russe. A l’aube du Sommet de Vilnius, la Russie renforce donc sa présence en Europe de l’Est. D’ailleurs, le 3 septembre dernier lors d’une visite officielle à Moscou, le président arménien Serge Sarkissian a annoncé son intention de rejoindre l’Union douanière. En effet, le pays compte sur un appui russe dans le règlement de ses conflits territoriaux avec l’Azerbaïdjan. Par conséquent, l’UE a menacé de ne pas parapher l’accord d’association prévu jusqu’alors avec l’Arménie.

Ce rêve géopolitique de V. Poutine se heurte cependant à la volonté de certains Etats de se tourner davantage vers l’UE tout en conservant des relations de bon voisinage avec la Russie. Malgré les pressions, le gouvernement ukrainien a approuvé le projet d’accord d’association et se prépare à le signer officiellement à Vilnius. De la même manière, la Moldavie poursuit son rêve européen mais doit faire face depuis le 11 septembre à un embargo russe sur ses vins pour des « raisons sanitaires ». La Russie représentait 28 % des exportations de vins de la Moldavie, soit 56 millions de dollars par an.

Un sommet qui vise d’abord à sceller la fin des négociations

La présidence lituanienne a été la première à fixer le succès du PO comme priorité dans son programme de travail. Le sommet de Vilnius sera donc d’abord l’étape décisive de la signature d’accords d’association (AA) et de libre-échange (DCFTA). Il s’agit :

  • Pour l’Ukraine, de signer l’Accord d’association/DCFTA avec l’UE qui permettra une application provisionnelle des dispositions commerciales (donc de supprimer les barrières douanières) et ce, sans attendre la ratification. Pour cela, il reste encore à satisfaire trois conditions fixées par l’UE: réformer le code électoral, améliorer le système judiciaire et mettre un terme aux cas de justice sélective (l’objectif étant de libérer l’ancien Premier ministre Iulia Timochenko).

  • Pour la Moldavie, l’Arménie et la Géorgie (dont les négociations se sont terminées en juillet dernier), de parapher les Accord d’association et de libre-échange. Les deux parties espèrent une signature avant la fin de son mandat en octobre 2014. Si l’UE menace de ne pas parapher l’accord suite à l’intention arménienne de rejoindre l’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, la Moldavie a satisfait aux évaluations sur la libéralisation des visas et espère une mise en œuvre au cours de l’année prochaine.

  • Pour l’Azerbaïdjan, la réponse est moins claire. Le pays a montré moins d’intérêt pour le PO et son objectif de créer un « partenariat stratégique » avec l’UE est en grande partie basé sur les questions énergétiques. Le Commissaire Füle insiste quant à lui pour qu’un tel partenariat porte sur tous les domaines, y compris les réformes politiques et les droits de l’homme.

  • Enfin, pour le Belarus, d’être réintégré dans le PO. Ici, l’UE fait preuve d’une conditionnalité stricte : la libération et la réhabilitation des prisonniers politiques, qui sont une condition préalable avant toute négociation et toute participation pleine du pays au PO.

Une occasion d’inscrire le Partenariat oriental dans une nouvelle dynamique

Bien évidemment, la signature des accords d’associations et de libre-échange constituent une étape politique importante et soulignent un certain succès de la politique de conditionnalité de l’UE. Pourtant, il restera encore l’étape délicate de la mise en œuvre de l’acquis communautaire. Le sommet de Vilnius doit donc être l’occasion pour l’UE d’aider à la constitution d’une société civile puissante, formée d’ONG, d’organisations professionnelles et d’associations. Ces acteurs seront chargés d’accompagner les gouvernements dans la mise en œuvre des réformes demandées par l’UE, dont le volume est évidemment bien plus important que celui auquel les pays d’Europe centrale ont dû faire face dans les années 1990.

Le sommet de Vilnius doit aussi être l’occasion d’apporter une dimension géostratégique nouvelle au PO et de concrétiser la promesse de S. Füle d’instiller davantage de différenciation entre les six Etats. En effet, les pays partenaires n’ont pas tous les mêmes ambitions envers l’Union européenne. On peut distinguer un premier groupe « euro-orienté » composé de la Géorgie, de la Moldavie, voire de l’Ukraine en cas de succès à Vilnius, un deuxième  groupe d’ « indécis » avec l’Arménie qui oscille actuellement entre Ouest et Est. Un troisième groupe réunit les pays ayant montré peu d’intérêt pour le PO et qui semblent s'éloigner toujours plus des standards européens : l’Azerbaïdjan et la Biélorussie.

Conclusion

Finalement, le sommet de Vilnius doit être aussi l’occasion de veiller à assurer la cohérence et l’efficacité du PO en précisant sa finalité. Il s’agit donc de renforcer la crédibilité de « l’offre européenne ». « More for more », comme le revendique la nouvelle doctrine de l’UE (« A new response for a changing Neighbourhood », 25 May 2011), mais jusqu’où ? La réponse à cette question permettra d’apporter de la clarté sur la finalité du PO et potentiellement d’accélérer les réformes à mettre en œuvre dans ces pays, de faciliter et légitimer leur « européanisation ».

Si la perspective d’adhésion n’est pas formellement exclue, l’UE doit faire un choix. Soit elle entre dans une réelle logique de partenariat et elle renforce l’objectif d’ownership sur une base « d’égal à égal », en accompagnant la mise en œuvre de réformes sans chercher à les « imposer ». Soit elle opte pour une relation asymétrique et poursuit la même stratégie qu’envers les Etats des Balkans en « européanisant » par le haut. Mais pour que cela soit efficace, l’UE n’aura pas d’autre choix que de reconnaître l’aspiration de certains pays à intégrer à terme l’UE sur la base de l’article 49 TUE.

Aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

Dossier d'octobre 2013

Sarah Struck, "Quelles suites du partenariat oriental vu de Varsovie ?", 29 août 2010

Sur Internet

Service Européen d'Action Extérieure, Partenariat Oriental

Présidence lituanienne du Conseil de l'UE, "Le sommet du Partenariat Oriental à Vilnius doit apporter des résultats et offrir une vision pour l'avenir, dit le ministre lituanien des Affaires étrangères", 23 juillet 2013

Presseurop, "Moscou se met en travers de la route de l'UE", 25 septembre 2013

Piotr Smolar, "L'espace post-soviétique en ébullition", Le Monde, 25 septembre 2013

Piotr Smolar, "La Moldavie a fait son choix: l'intégration européenne", Le Monde, 16 septembre 2013

Hrant Kostanyan, "Vilnius: A milestone in the Eastern Partnership?", EUobserver, 30 août 2013

Eastern Partnership Civil Society Forum, "DCFTAs with Armenia, Georgia and Moldova to be finalized before Vilnius?",