Le modèle économique biélorusse en crise aiguë

Par Nelly Kazuk | 8 août 2011

Pour citer cet article : Nelly Kazuk, “Le modèle économique biélorusse en crise aiguë”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 8 août 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1135, consulté le 02 juin 2023

L’ex-république soviétique du Belarus subit des difficultés économiques sans précédent. Tandis que la population est destabilisée par une instabilité économique à laquelle elle n’est pas habituée, le gouvernement tente de garder la face en promettant aux citoyens de redresser la situation et en accusant des forces extérieures de la catastrophe. Mais peut-être ne faut-il pas chercher de malveillance là où l’absurdité suffit à tout expliquer.

Dans le contexte de la globalisation, le Belarus est un petit pays incapable d’exercer une véritable influence sur les évolutions de l’économie mondiale. La presse officielle et le gouvernement biélorusses en déduisent abusivement l’hypothèse d’un complot mondial contre le modèle économique biélorusse ; le président a déjà plusieurs fois accusés les médias russes de provoquer la panique chez les consommateurs biélorusses par leurs messages parfois alarmants. Les difficultés actuelles de l’économie biélorusse pourraient d’un côté prouver l’absence d’alternative au modèle de l’économie de marché. Cependant, il n’y a probablement dans tous les cas de figures que la Russie qui aurait intérêt à investir dans des actifs biélorusses. Les difficultés financières des Etats-Unis et de l’UE et les tensions croissantes entre pays occidentaux et une Chine aui monte en puissance occupent le devant de la scène. Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences : la crise biélorusse s’est formée du dedans.

Sources de la crise

On pourrait aller chercher les causes de la crise actuelle jusque dans les années 1990, après l’entrée en fonction du président Loukashenko. C’est notamment à cette période que les traits du système économique actuel ont commencé à se consolider – reproduction d’un modèle quasi-soviétique où l’Etat contrôle presque toutes les sphères de l’économie et où la direction du système est concentrée entre les mains du président. Malgré l’échec flagrant de ce modèle, révélé par l’expérience de l’Union soviétique, ce dernier avait au moins l’avantage de donner un sentiment de stabilité aux Biélorusses à côté de leurs voisins européens souffrant aux années 1990 des chocs d’adaptation à l’économie de marché (comme la « thérapie de choc » appliquée en Pologne). Mais la crise actuelle, la quatrième après celles de 1992-94, 1999 et 2008-2009, a radicalement mis en question cette volonté de stabilité.

Pourquoi maintenant ? On a probablement accumulé une masse critique d’erreurs dans le règlement de processus financières et économiques au niveau étatique. Les premières difficultés ont déjà commencé en 2008 quand le Belarus, subissant les conséquences néfastes de la crise financière globale, a décidé de revenir à sa croissance grâce à des programmes étatiques d’octroi de crédits. En effet, l’État biélorusse est un acteur majeur de l’économie du pays, notamment par l'attribution de crédits aux banques du pays dans la mise en œuvre de différents programmes (dans le bâtiment ou le secteur agricole par exemple). Les emprunteurs paient des intérêts à un taux inférieur car subventionné par l’Etat auprès des banques. Le montant de ces aides en 2008 a été tout particulièrement important : 12 milliards de roubles biélorusses (environ 3 milliards d’euros), d’après le Fonds monétaire international (FMI).

Le coup décisif à ce modèle chancelant a été porté lors des élections présidentielles, fin 2010, quand le président Loukashenko a pris la mesure populiste d’augmenter énormément le salaire moyen, de 320 à 370 dollars jusqu’à 500, ce qui a entraîné toute une série de conséquences négatives que nous verrons plus loin. Cela s’est ajouté à la multiplication de financements de grands projets d'infrastructures. Le pays se trouvait ainsi inondé de capitaux sans provision, rendant tout le système économique extrêmement vulnérable aux chocs extérieurs ou à une conjoncture interne changeante. Pour répondre à ces défis, il aurait fallu disposer de réserves suffisantes en banque centrale pour absorber les paniques ou opérer un taux de change libre.

On ne disposait d’aucun de ces moyens au Belarus. Premièrement, on ne pourrait jamais refuser le contrôle total sur le marché monétaire. Deuxièmement, la banque centrale (connue sous le nom de la Banque nationale) ne possédait de fait pas de réserves de change suffisantes. Ceci est dû à la manipulation  rusée des chiffres officiels (on faisait de sorte que le montant des réserves officielles restait toujours le même pour une certaine période de temps). En 2010, la Banque nationale devait faire des interventions monétaires massives pour protéger le taux de change et stabiliser des processus inflationnistes (mutatis mutantis, l’ampleur de ces interventions est comparable à celle des interventions de la Banque centrale de la Russie en 2008). Pour couvrir les trous dans les réserves, la Banque nationale proprement dit prenait des crédits en monnaies de réserve dans des banques privées du pays (mécanisme de swap).

Le secteur bancaire est ainsi devenu le cœur de la crise car du fait des opérations swap avec la banque centrale, on ne pouvait jamais être sûr de la dimension réelle des réserves de banques privées. Le retrait massif des dépôts de banque et la croissance de ‘mauvais crédits’ ont mené à la catastrophe à laquelle on assiste à présent.

Symptômes du malaise économique

Les conséquences néfastes se sont accumulés comme une boule de neige : déficit important de la balance commerciale (on importait beaucoup plus qu’exportait), diminution brutale des réserves de la banque centrale (de 5,5 à 3,7 milliards de dollars), augmentation de prix pour les produits d’alimentation, l’essence, les produits de première nécessité… Mais ce qui a le plus frappé cette construction économique chancelante, c’est la disparition de la marge des exportations de produits pétrochimiques, produite sur la base du pétrole russes acheté à un prix extrêmement bas. La Russie avait intention de changer le mode de cette coopération en la soumettant aux règles ordinaires du marché international : cette ressource immense du revenu biélorusse a donc disparu.

Le rouble biélorusse a ainsi perdu plus de 50% dans sa valeur sur le marché monétaire officiel. Sur le marché noir monétaire, qui est apparu avec le début de la crise, ces chiffres montent jusqu’à 70-80%.

 

 

La population a réagi à ces défis en revenant au schéma des années 1990 : achat massif des devises fortes et retrait des dépôts bancaires. À cause de ces tactiques, les bureaux de change, en déficit de devises étrangères, ont quasiment arrêté de fonctionner. Et les citoyens ont dû effectivement se souvenir des années 1990 face aux queues longues de plusieurs semaines pour acheter quelques centaines de dollars et à la réapparition des trafiquants de devises.

Pour le secteur privé, l’absence de devises s’est transformée en menace réelle de disparition (car beaucoup d’entreprises sont liées aux importations ou travaillent sur la base de matériel importé). Les sources officielles ont témoigné de licenciements atteignant environ 600 000 employés (8% de la population active). Et encore, elles ne comptent pas le chômage latent d’une partie des travailleurs ont dû partir en congés à durée indéterminée.  Le phénomène a en tout cas  considérablement réduit le pouvoir d’achat de la population, renforçant la spirale de la crise.

Existe-il un remède ?

Aujourd’hui les dirigeants du pays (ayant probablement compris le caractère aveugle du modèle économique choisi) essaient d’entreprendre une série de mesures urgentes pour étouffer cet incendie, tout en entretenant l’effort de création d’une bulle informationnelle pour les citoyens (en leur cachant les dimensions réelles de la crise).

Le gouvernement tente de trouver de nouvelles sources de fonds en s’adressant à ses voisins et partenaires ainsi qu'aux organisations internationales (plus spécifiquement, le Fond monétaire international) ; il introduit de nouvelles mesures administratives pour régler le marché monétaire et celui de la consommation. Allant dans ces démarches jusqu’au ridicule – comme dans le cas de l’introduction d’une discipline sévère aux entreprises de l’État (inspirée de l’exemple d’Andropov dans l’Union soviétique) et procédant ‘à la valse des responsables’ (il y a quelques jours, on a remplacé le dirigeant de la Banque nationale).

Une autre source de revenus possible serait la privatisation de grandes entreprises d’Etat, qui aurait dû être faite il y a longtemps. Mais même dans ce domaine, le gouvernement fait tout pour ralentir ou rendre ce processus presque impossible, par le biais d’appréciations excessives de la valeur des actifs à privatiser et l’utilisation de schémas opaques pour ces appréciations. On a pu le constater à plusieurs reprises pour le cas de Belaruskaliy, un des leaders mondiaux en production des engrais de potassium.

Selon plusieurs experts, cette situation d’incertitude devrait continuer jusqu’à la fin de l’été. Mais la réaction de la population pourrait changer radicalement dès l’automne où l’on devrait faire face à de nouvelles augmentations de prix de consommation et des coûts des services communaux. Les protestations, encore faibles durant l’été, menées surtout par la jeunesse, pourraient déboucher sur un mouvement massif.

Face à cela le gouvernement est contraint de trouver une solution. En somme il y en a deux. La première : procéder à des réformes profondes économiques pénibles pour la population mais indispensables pour la viabilité de l’économie dnationale. La seconde : fermer totalement le pays aux échanges extérieurs, selon le modèle nord-coréen ou cubain (ce qui est assez difficile à imaginer au milieu de l’Europe).

Conclusion

Une chose est sûre, le Belarus a besoin de mesures urgentes pour remédier à cette crise. Les Biélorusses eux-mêmes, sans délégation, devront faire ce travail de correction des erreurs passées, réformer les entreprises, faire progresser le secteur privé, trouver des alliés internationaux… Et seulement après cela, faire leurs premiers pas dans le marché mondial.

La crise actuelle laisse de moins en moins de possibilités aux dirigeants du pays d’échapper à ce travail désagréable. On ne saurait toujours se cacher derrière des déclarations vidées de sens en annonçant la réalisation d’objectifs économiques sans consistance et en durcissant la discipline du travail.

Pour aller plus loin

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