En 1966, l'UNESCO a proclamé le 5 octobre "journée officielle des
professeurs". Partout en Europe cette initiative a eu peu d'échos sauf dans les pays du bloc soviétique où l'on avait l'habitude de célébrer une fois par an les catégories de personnes les moins favorisées. Ainsi, le statut des femmes et des professeurs s'était vu assurer par ces dates entourées de rouge sur les calendriers.
Au niveau du Politburo, l'attitude envers cette fête était ambiguë : d'un côté les professeurs exerçaient la fonction première dans la formation des esprits soviétiques et il fallait sans doute les en féliciter ; mais d'autre part, ils avaient peur d'interrompre le processus éducatif par cette atmosphère festive car les jeunes seraient laissés sans surveillance (ou plutôt leurs esprits). Finalement, le gouvernement a trouvé une solution à cette situation délicate en changeant la date de la fête pour le premier dimanche d'octobre. Ainsi la profession si nécessaire au régime ne serait pas oubliée et les jeunes non plus.
Mais apparemment les cadres du Politburo étaient de mauvais psychologues. Au lieu de donner un caractère plus discret à cette fête, ce changement a amené les professeurs et les élèves à la fêter du vendredi jusqu'au mercredi de la semaine suivante. Les délicieux petits chocolats avalés pendant les récréations entre les professeurs dans des cabinets encombrés de fleurs faisaient tomber leurs masques terrifiants du quotidien. Souvent les leçons étaient raccourcies, les manuels oubliés, et les professeurs se permettaient des dérogations créatives, parfois même les élèves échangeaient leur place avec leurs enseignants et préparaient des cours pour eux.
Ainsi la journée des professeurs a pris des couleurs dissidentes - sous les peintures de Lénine accrochées dans chaque salle, les élèves et les professeurs se permettaient des petites libertés insolites en laissant l'idéologie intacte. Mais surtout c'était une occasion d'avoir une relation humaine avec les élèves, à l'époque où l'on voulait réduire le processus éducatif à l'usine de la formation des cadres pour le régime communiste. Il restait quand même des professeurs charismatiques qui essayaient de garder les vieilles traditions en donnant le goût au sujet avec leur personnalité et l'amour envers leur métier.
Le chaos qui est venu avec la chute de l'URSS a eu un grand impact sur les écoles car on ne pouvait plus faire confiance aux manuels scolaires existants, mais l'élaboration des nouveaux emprunte d'une forte volonté de rompre avec l'idéologie manquaient de contenu structuré. L'école éprouvait des bouleversements conceptuels. Le jour des prof, qui a récupéré sa date officielle après la perestroïka, demeure jusqu'à aujourd'hui un reflet de ces temps mitigés. C'est la fête qui n'a jamais perdu ses couleurs soviétiques avec une bonne dose de pathos, mais dont l'atmosphère détendue n'a plus guère ce goût dissident de l'époque.
De nos jours, cette journée est marquante par l'évocation de ce caractère profondément humain de l'enseignement scolaire - on a pu préserver cette humanité pendant l'époque soviétique et on la garde dans ces temps de la commercialisation de toutes relations. Les enseignants ne se souviennent pas des salaires bas, des heures de travail illimitées, du manque des manuels scolaires, comme on fait dans d'autres pays, mais se réjouissent des relations parent-enfant qui se construisent avec des élèves qui sont profondément ancrés dans la culture de l'Europe de l'est. Au-delà du cadre social dans lequel on habite, cette fête nous rappelle chaque année que l'éducation se transmet de l'individu à l'individu, et dans un monde de hautes technologies, cela devient davantage actuel.