À la recherche de la relance lettone

Par Anne-Sophie Jameux | 5 avril 2010

Pour citer cet article : Anne-Sophie Jameux, “À la recherche de la relance lettone”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 5 avril 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/844, consulté le 03 juin 2023

Des sacrifices, la Lettonie en a beaucoup fait au cours de son histoire et semble condamner à devoir en faire. La crise économique de 2008, dont le pays subit aujourd'hui les lourds tributs aurait pu lui être fatal. Aux yeux de beaucoup d'observateurs, la Lettonie était « perdue » il y a deux ans. Mais c'était sans compter sur la témérité et la volonté exemplaire de s'en sortir, dont le pays a toujours su faire preuve.

De la renaissance d'un pays...

Après deux années de transition difficile suite à l'indépendance en 1991, l'État letton connut une ouverture rapide à l'économie de marché, et l'accès à la consommation de masse. Une vague de privatisations mit fin à l'économie collectiviste et la création de structures bancaires et financières modernes sont venues compenser le déclin de l'activité industrielle. "Eldorado de l'Est" ou "Tigres baltiques" - en référence à ceux d'Asie - les Pays baltes sont à leur entrée dans l'Union européenne, des pays qui enregistrent les plus forts développements économiques avec des croissances annuelles atteignant les 12,2% en 2006 pour la Lettonie. L'enthousiasme d'une population qui a retrouvé sa liberté se traduit par un dynamisme de la demande intérieure, véritable moteur de la croissance de ces premières années. À peine plus de treize ans auront été nécessaires à la Lettonie pour non seulement tourner la page du système soviétique, mais en outre afficher des taux de croissance à deux chiffres fin 2007 (seul pays avec la Slovaquie), se plaçant parmi les meilleurs élèves de l'Union.

Mais l'engouement à la consommation des débuts s'est parallèlement accompagné d'un endettement grandissant de la population, largement encouragé par les banques occidentales, notamment suédoises, très implantées dans la région. Celles-ci se sont montrées en effet peu regardantes de la solvabilité financière des clients lorsqu'il s'agissait de leur octroyer des crédits. Prêts à risque, propositions de rachat de dettes, spéculations immobilières, autant d'instruments qui dopèrent dans un premier temps la croissance lettone, sans que personne n'ignore qu'ils puissent être aussi un jour, les principales causes de sa chute.

... à son effondrement

Touchée de plein fouet par une crise financière mondiale aussi foudroyante que durable, la Lettonie voit sa croissance chuter à 3 % en 2008. Il s'agit du seul exemple considéré comme pire que ne fut la Grande Dépression aux États-Unis selon la dernière intervention de Mark Weisbrot, co-directeur du Centre de Recherche économique et politique de Washington. En effet, avec une croissance presque négative, un énorme déficit du compte courant - des importations de 25% du PIB supérieures aux exportations - une monnaie en danger et le problème endémique de la corruption, la Lettonie vit aujourd'hui une dépression spectaculaire. Pratiquement tous les secteurs de production et l'immobilier se sont effondrés. Face à un tel marasme, la Lettonie ne pouvait s'en sortir seule.

Peu d'autres choix que la solution de dernier recours s'impose à elle. En 2009, le Fond monétaire international (FMI) est sollicité pour l'octroi d'un prêt de 7,5 milliards d'euro (soit plus du quart de son PIB annuel) via principalement le soutien de la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), la Suède, ainsi que la République tchèque et l'Estonie. Ce prêt fut bien sûr octroyé sous des « conditions », fixées par le FMI et approuvées par l'Europe. Des conditions drastiques auxquelles peu d'États auraient accepté de soumettre leur pays. C'est ainsi que les Lettons ont subit presque sans rien dire, des mesures de redressements radicales dans la plupart des secteurs , dont principalement le secteur public avec la réduction de dépenses de 20 à 40 % pour chacun des ministères, id'mportants licenciements de fonctionnaires, des chutes de 15% des salaires dans la fonction publique, la suppression des avantages acquis ... tout ceci pour atteindre un déficit sous le seuil des 3% d'ici 2012. L'éducation est également un des secteurs les plus mis à mal. Les coupes budgétaires infligées au système scolaire sont dramatiques, avec la fermeture de 10% des écoles et la diminution de 30 à 40 % des budgets dédiés aux universités. La plupart des retraités voient leurs pensions se réduire et ne subsistent que grâce à des réseaux de solidarité familiaux ou amicaux. Les dernières grandes entreprises qui faisait la fierté du pays ne sont plus. Mais le lieu où s'exprime le plus violemment la crise son les bureaux où s'allongent les lignes de chercheurs d'emploi, le chômage atteignant un chiffre record de 22,8% en 2010.

Sans parler des implications dramatiques sur le long terme de telles mesures, on aperçoit déjà à court terme des conséquences graves telles que la migration de la population qui concernerait entre 5 et 13% de la population active. Justifié par la motivation d'aller trouver un meilleur avenir en Occident, ce phénomène sociétal vient briser les structures familiales et fragiliser la population. Selon Peteris Krigers, Président de la Confédération des syndicats indépendants de Lettonie (LBAS), « l'attitude du gouvernement et du FMI a négligé la société lettone ». Principale victime, la colère monte dans la population et entrainera 2009 le départ du Premier ministre.

Une vraie volonté politique

Il a fallu en effet beaucoup de courage politique aux autorités lettones pour tenir leurs engagements. Mais malgré la chute de la croissance, la Lettonie semble avoir réussi à retrouver un regain de compétitivité non pas grâce à la dépréciation de sa monnaie - ce qu'elle s'est toujours refusée de faire - mais grâce à des coupes profondes dans les salaires et les dépenses publiques. Un but ? Rejoindre la zone euro en 2014. Chaque année de déflation de la monnaie réduit la dette publique, la dévaluation mettrait fin à ce problème. Mais le gouvernement actuel justifie les moyens employés au nom d'un programme basé d'une part sur la stabilité de la monnaie (le lat), et la réduction graduelle des déficits publics, de sorte de pouvoir remplir les critères de Maastricht et rejoindre la zone euro dès que possible. Dans son rapport de présentation du projet de budget pour 2010, le Premier ministre énonce ses priorités : des réformes structurelles dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de l'administration publique et des services civils ; des mesures d'appui aux industries d'exportation et différents projets d'infrastructure pour la période 2007-2013, ainsi que la simplification et une gestion plus efficace et mieux rentabilisée des crédits de l'Union européenne. Reste à savoir s'il sera en mesure de tenir ses promesses là à la population. Le gouvernement letton affiche en tout cas une seule requête vis-à-vis de la Communauté internationale : « une solidarité qui permette à l'État de respecter ses obligations sociales ». Car en effet si le pays a réussi à contrer les prognostiques, la question est de savoir quel en sera le prix à payer ?

 

 

Pour aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

Sur Internet

  • Rapport du Sénat : Courageuse Lettonie !
  • The Economist :

    East European economies, Fingered by fate (18/03/2010) ; Latvia and Greece, Baltic thaw, Aegean freeze (25/02/2010) ;

    “Eastern Europe”, Wrongly labelled (07/01/2010)

Source photo : Riga sur Flickr