La politique commune de la pêche, entre intérêts économiques et sauvegarde de l'environnement

Par Taran Rennes | 15 février 2017

Pour citer cet article : Taran Rennes, “La politique commune de la pêche, entre intérêts économiques et sauvegarde de l'environnement”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 15 février 2017, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1961, consulté le 06 juin 2023

Les fêtes de fin d'année sont souvent synonymes de plateaux de fruits de mer, poissons nobles et autres crustacés. Incontournables des assiettes européennes et des supermarchés, les produits issus de la pêche représentent un profit important pour l'économie des Etats membres de l'Union européenne. Par la politique commune de la pêche (PCP), l'UE entend pouvoir contrôler le domaine de la pêche, partagé par des enjeux économiques mais également par un souci de gestion des stocks et de préservation de la biodiversité marine. Alors, la PCP simple politique économique ou véritable politique publique visant une plus grande protection de l'environnement ?

Une obligation historique liée à la construction européenne      

Il est nécessaire de comprendre la mise en place du politique européenne de la pêche par sa dimension historique. Avant les premiers élargissements, la gestion de la pêche dépendait de la Direction Générale de l'Agriculture au sein de la Commission européenne.  La pêche représentait un secteur peu important du point de vue des pays fondateurs même si certains de ces pays comme la France bénéficiaient d'une compétitivité importante dans ce secteur. Il faut attendre les premiers élargissements pour comprendre la nécessaire mise en place d'une politique commune de la pêche dans le cadre de la Communauté européenne. Avec l'arrivée du Royaume-Uni, du Danemark, de l'Irlande puis de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne, le secteur de la pêche européenne a été bouleversé. Cela s'explique avant tout par l'arrivée dans la Communauté européenne de « mastodontes » du secteur comme l'Espagne. On assiste alors à une hausse de 65% du tonnage des flottes et de 45% de la production de poissons et de crustacés. Le secteur espagnol pose problème car il représente la quatrième puissance de pêche dans le monde et prélève plus de la majorité de cette production dans des eaux extérieures à la Communauté européenne. Avec l'adhésion de ces pays, on assiste à la première mise en place de quotas pour l'Espagne et le Portugal dans la zone atlantique. Les navires espagnoles et portugais sont également exclus de plusieurs mers comme la Mer d'Irlande et la Mer du Nord. Cet élargissement permet à la Commission européenne d'opérer un renforcement entre des politiques de soutien à l'activité et des politiques de préservation des ressources halieutiques. En 1983, le Conseil des Ministres de la Pêche adopte le premier programme d'orientation pluriannuel. De multiples évolutions ont eu lieu autour d'une politique européenne de la pêche jusqu'à obtenir en 2014 avec la nouvelle programmation, une politique commune de la pêche.

Les acteurs et fondements de la politique commune de pêche : une logique adaptée aux enjeux économiques et écologiques

La politique commune de la pêche, comme la plupart des politiques publiques européennes est fondée sur différents principes qui régissent les domaines d'action de l'Europe dans ces secteurs bien précis. Elle est sous la direction de la Commission européenne qui a nous le rappelons, le pouvoir de l'initiative en matière de politique dans l'Union européenne. De plus, elle est une compétence partagée entre les institutions de l'Union européenne et les Etats membres. Ainsi, elle répond aux grands principes de droit communautaire comme le principe de subsidiarité. La politique commune de la pêche s'ancre également dans le droit de la concurrence, avec une attention toute particulière portée sur les aides d'Etat.

Deux grands principes sont au cœur de cette politique. Le principe de conservation de la ressource se traduit par la fixation annuelle par les Ministres des Etats membres d'une quantité maximum de capture des espèces pour les pêcheurs de chaque Etat Membre. Cette fixation de quotas répond à une volonté de préserver la ressource et les stocks de poissons. Ce principe est symbolisé par la mise en place des Totaux Admissibles de Capture (TAC). Cet instrument introduit des droits de pêche entre Etats membres et découle de nombreuses négociations. Chaque Etat Membre reçoit ainsi un quota national qu'il est chargé de répartir entre les pêcheurs nationaux. Pour l'adoption des TAC et Quotas 2016, nous avons pu voir que les intérêts entre les Etats membres mais également entre les lobbys, les scientifiques, les pêcheurs, les industriels. On observe un véritable jeu de pouvoir et d'influence pour la fixation de ces taux car cela régit le secteur pour l'année et induit toute une activité économique et la vie d'un secteur qui est lié à ces TAC et quotas. Lorsque l'UE décide de ces instruments, elle doit prendre en compte une logique économique pour permettre une pérennisation du secteur, mais également prendre en compte une visée écologique avec pour objectif une gestion des ressources halieutiques. Si nous prenons l'exemple de la France pour l'année 2016, elle a fait pression pour une baisse de la réduction des quotas pour certaines espèces comme pour la pêche à la sole dans la Manche. Elle a obtenu que les quotas baissent de 14% au lieu des 32% proposés par la Commission européenne. La France a justifié cette proposition en estimant que le taux proposé par la Commission européenne était trop bas au regard des objectifs d'atteindre un rendement maximal du stock tout en en assurant sa bonne gestion.

Le deuxième principe important de la politique commune de la pêche, c'est la notion de politique sectorielle. Ce principe permet le soutien au secteur économique tout en assurant une concurrence libre et équitable. Le principal instrument est le Fond Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche. Le FEAMP représente à lui seul 5 788 100 000 Euros. Les plus gros bénéficiaires sont l'Espagne (plus de 1 milliard), la France (588 millions), l'Italie (537.3 millions) et la Pologne (531,2 millions). Les plus petits bénéficiaires sont l'Autriche (7 millions), Malte (22,6 millions) et la Slovaquie (15,8 millions). Le FEAMP est donc un instrument de compétence partagée entre l'initiative de la Commission européenne et l'application par les Etats membres des objectifs de l'Union européenne dans ce secteur. Il permet de soutenir l'activité des pêcheurs pour qu'ils s'adaptent aux pratiques de pêche durable, pour la création d'emploi pour le secteur et favoriser la diversification des activités économiques des populations côtières. Pour la période 2014-2020, l'Union européenne alloue près de 6400 millions d'Euros à ce fond structurel. Ainsi, le FEAMP permet d'aider les Etats membres à cofinancer des projets et des programmes opérationnels (PO) dans le but d'atteindre les objectifs fixés dans le cadre de la politique commune de la pêche.

Une zone de conflit régionale et internationale

Les problèmes de surexploitation des ressources ne se limitent pas aux eaux européennes. L'activité même de pêche s'étend dans les eaux internationales. Le principal outil de la politique extérieure européenne en matière de pêche est sa capacité de signer des accords avec les pays tiers pour favoriser l'accès aux bateaux étrangers à la flotte de l'Union européenne. En matière d'accords bilatéraux, l'Union européenne conclut deux types d'accords : les accords de partenariat dans le domaine de la pêche dans lesquels l'UE offre aux pays partenaires (en général des pays du Sud) une aide financière et technique en échange de droits de pêche et les « accords nordiques » qui représentent une gestion conjointe des stocks partagés avec la Norvège, l'Islande et les Îles Féroé.  Ces accords sont négociés par la Commission européenne au nom de l'Union européenne et des Etats membres et permettent l'accès aux zones économiques exclusives. La suprématie de l'Union européenne en matière de pêche dans le monde créer une situation de concurrence déloyale vis à vis des autres pays. Les accords bilatéraux dont nous avons déjà parlé en sont la preuve. En contrepartie d'une aide financière, l'Union européenne parvient à s'immiscer dans les zones géographiques qui ne dépendent pas de l'Union. Cette position que l'on peut qualifier de dominante affaiblit des Etats tiers qui n'ont pas forcément la possibilité de se confronter au pouvoir de l'Union européenne. Nous pouvons prendre l'exemple de la situation du continent africain qui voit l'Union européenne conquérir de plus en plus ces zones de pêche et ainsi contribue à un affaiblissement du secteur en Afrique. L’Union européenne a déplacé vers les pays du sud sa capacité de pêche toujours plus importante en profitant de la faiblesse des structures de ces pays pour ouvrir des marchés, que les accords de partenariat de pêche bilatéraux ont largement favorisés.

L'UE et ses Etats membres sont des acteurs importants de la pêche dans le monde. La politique commune de la pêche, moins connue que sa grande sœur la PAC entend régir un secteur d'activité qui est vital pour certains pays et qui doit composer avec une dimension écologique importante. Ainsi les deux outils principaux de la PCP (les quotas/TAC et le FEAMP) doivent atteindre deux objectifs. Le premier est d'assurer un soutien économique au secteur et le second de permettre une protection et une gestion de la ressources écologiquement parlant positif. Le problème est que les négociations autour des quotas, des TAC et des aides sont les sources de tensions et de négociations importantes entre les institutions européennes et les Etats membres. Les pays ayant de forts intérêts économiques dans le secteur de la pêche ne se soucient guère des enjeux écologiques et militent pour un allègement des contraintes européennes sur l'activité.  De plus l'action extérieure de l'UE est à double tranchant puisqu'elle permet d'assurer un secteur européen de la pêche performant mais contribue à affaiblir les autres zones géographiques et concurrents potentiels. L'avenir de la PCP semble s'orienter vers une meilleure prise en compte des enjeux écologiques mais son évolution dépendra des orientations voulues par les institutions européennes, les Etats membres et le lobbying des professionnels du secteur.  

Aller plus loin

LESQUEN, Christian, L'Europe bleue : A quoi sert une Politique Commune de la Pêche, Paris, Presses Sciences Po, 2001

Dossier du Ministère de l'Ecologie sur la PCP http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-instruments-financiers-de-la.html

Site de la Commission Européenne sur la PCP https://ec.europa.eu/fisheries/cfp_fr

Communique de presse du Ministère de l'Ecologie sur l'adoption des quotas et des TAC pour 2016 http://www.developpement-durable.gouv.fr/Accord-sur-les-TAC-et-quotas-de.html