
Le 1er janvier 2010, le Parlement lituanien a invalidé la loi sur les minorités ethniques. Depuis, les discussions pour l’élaboration d’un cadre législatif attisent les tensions. Pourtant, depuis la restauration de son indépendance, la Lituanie a toujours adopté une législation progressiste en faveur de la protection des minorités nationales.
La Lituanie : pays modèle pour la protection des minorités nationales
Avant même la restauration de l’indépendance, le Conseil Suprême de la République socialiste et soviétique de Lituanie a adopté une loi sur la citoyenneté (11 mars 1989), qui fut un élément essentiel pour la question minoritaire. La loi établissait le principe de « l’option zéro» : l’article 1 permettait aux personnes arrivées en Lituanie pendant l'époque soviétique et y possédant leur résidence permanente depuis deux ans de devenir des citoyens lituaniens s'ils en faisaient la demande dans les deux années suivant l'entrée en vigueur de la loi. A la fin de l’année 1991, environ 90% des personnes d'origine non lituanienne avaient ainsi opté pour la citoyenneté lituanienne. En faisant le choix de l’option zéro, la Lituanie se différenciait radicalement de ses deux voisins baltes, qui préférèrent exclure les minorités russophones de la citoyenneté. Il est vrai que le choix de l’option zéro était plus simple pour les autorités lituaniennes : à l’issue de l’occupation soviétique (1989), la part des minorités (environ 20%), notamment russophones (9.5%), était restée stable dans la population lituanienne.
La Lituanie fut aussi le premier Etat d’Europe centrale et orientale à adopter une loi sur les minorités ethniques (le 13 novembre 1989, amendée en 1991). La loi était certes relativement courte, mais elle anticipait certains thèmes repris par la législation internationale dans les années 1990, notamment la Convention cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe (1995). La Lituanie a établi un système éducatif exceptionnel pour l’apprentissage des langues minoritaires. C’est un des rares pays au monde qui offre la possibilité d’étudier dans des établissements publics en polonais et en russe de l’école maternelle à l’université. Pour les petites minorités nationales, des cours obligatoires ou optionnels peuvent être établis dans les écoles publiques. La loi sur l’éducation, adoptée en 2003, garantissait la possibilité d’un enseignement donné entièrement (ou partiellement) dans la langue minoritaire, la langue de l’Etat étant enseignée en tant que simple matière.
Tensions anciennes et érosion récente du droit des minorités
Malgré une situation globalement favorable pour les minorités, il existe depuis plusieurs années de fortes tensions entre les autorités lituaniennes et les Polonais de Lituanie, la minorité nationale la plus importante en nombre. La minorité polonaise représente environ 6.6% de la population lituanienne, la minorité russe 5.8% et les Biélorusses 1.2%. Les autres minorités nationales représentent individuellement moins de 1% de la population (chiffres de 2012). Les principales revendications de la minorité polonaise, incarnée politiquement par l’Action électorale polonaise, portent sur l’écriture des noms polonais dans les documents officiels, les inscriptions bilingues des rues dans les zones à forte densité de population polonaise et bien sûr l’enseignement dans les écoles polonaises de Lituanie. La nouvelle loi sur l’éducation, adoptée le 17 mars 2011, renforce le statut de la langue lituanienne, dont le temps d’enseignement ne peut être inférieur au temps d’enseignement de la langue minoritaire. Désormais, l’histoire et la géographie doivent être obligatoirement enseignées en lituanien, y compris dans les établissements dispensant un enseignement en langue minoritaire.
Cette réforme de l’enseignement avait été précédée le 1er janvier 2010 de l’invalidation de la loi sur les minorités ethniques. Cette-dernière autorisait les inscriptions bilingues dans les zones avec un nombre substantiel de personnes appartenant à une minorité et de ce fait se trouvait en opposition juridique avec la Constitution lituanienne (1992) et la loi sur la langue de l’Etat (1995), qui établissaient le lituanien comme la seule langue d’Etat. Souhaitant mettre fin à cette insécurité législative, le Seimas (parlement lituanien) a décidé d’invalider la loi, avant d’avoir trouvé un consensus sur la question des minorités nationales. Les discussions pour la rédaction d’une nouvelle loi s’enlisaient depuis des années et continuent de s’enliser. La fragmentation des forces politiques en Lituanie, les conflits mémorielles entre communautés, la volonté de promouvoir l’identité et la langue lituaniennes rendent complexe une avancée rapide sur la question minoritaire. L’Action électorale polonaise pèse peu sur le plan électoral, mais c’est un parti pivot pour la formation d’une majorité parlementaire. Elle fait partie de l’actuelle coalition gouvernementale (Parti socialiste, Parti du Travail, Ordre et Justice) dirigée par le Premier ministre socialiste Algirdas Butkevičius depuis novembre 2012. Le parti a déjà menacé de quitter la coalition, notamment pour obtenir des examens de langue lituanienne plus faciles pour les élèves issus des écoles minoritaires.
L’adoption d’une loi sur les minorités nationales figure depuis le début dans le programme de la coalition gouvernementale. Mais, la question des inscriptions bilingues fait toujours polémique. Un groupe de travail, dirigé par le vice-ministre de la culture Edvard Trusevič, délégué par l’Action électorale polonaise, a préparé un projet de loi autorisant les panneaux bilingues dans les zones peuplées par au moins 25 % de personnes appartenant à des minorités ethniques. Les Polonais représentent plus de 25% de la population locale dans les districts de Vilnius, Šalčininkai, Švenčionys et Trakai. Les Russes représentent plus de 25% de la population de Visaginas. Ce projet a finalement été rejeté par le gouvernement et l’adoption d’une loi sur les minorités a été retirée de l’agenda du Seimas pour la session de l’hiver 2013. Suite au rejet du projet d’Edvard Trusevič, l’Action électorale polonaise a proposé de restaurer sur une base temporaire la loi sur les minorités ethniques, dans sa version amendée de 1991. Valdemar Tomaševski a récemment annoncé la tenue de débats parlementaires à ce sujet pour le printemps 2014. Cependant, l’idée d’une réintroduction, même temporaire, de cette loi est dénoncée par la Présidente lituanienne Dalia Grybauskaitė comme la reconnaissance du multilinguisme en Lituanie, donc comme une violation de la Constitution lituanienne.
Instrumentalisation politique de la question minoritaire
La question des droits des minorités est de plus en plus instrumentalisée par les leaders de l’Action électorale polonaise, qui multiplient les coups d’éclat sur la scène nationale et européenne. Le 13 janvier 2014, jour de commémoration du 23ème anniversaire de l’agression soviétique en Lituanie, les députés de l’Action électorale polonaise ont ostensiblement quitté le Seimas pendant le discours de Vytautas Landsbergis (ancien président du Conseil suprême). Le 14 janvier, l’eurodéputé Valdemar Tomaševski, soutenu par certains eurodéputés polonais, a profité du discours de la Présidente lituanienne Dalia Grybauskaitė devant l’assemblée plénière de Strasbourg pour dénoncer la « violation » des droits des minorités en Lituanie. Il a notamment critiqué la décision de la cours de justice d’avoir condamné un élu local à une amende de 43 000 litas (12 500 euros) pour ne pas avoir supprimé les panneaux bilingues des rues. S’en est suivi une violente réplique des eurodéputés lituaniens, afin de rappeler que la langue d’Etat en Lituanie est le lituanien. La Présidente lituanienne a aussi accusé Valdemar Tomaševski de vouloir discréditer l’image de la Lituanie sur le plan international.
L’activisme politique des Polonais de Lituanie s’explique par l’agenda électoral chargé de l’année 2014 : les élections présidentielles et européennes auront lieu en mai. En outre, il n’est pas certain que l’actuelle coalition gouvernementale dure jusqu’aux prochaines élections législatives (octobre 2016). En effet, l’éventualité d’une coalition entre les socialistes et les conservateurs est régulièrement évoquée dans la presse lituanienne. Donc, le temps presse pour la minorité polonaise de faire adopter un cadre législatif qui lui est favorable.
Aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
Philippe Perchoc, 1993-2013: La politique étrangère lituanienne du Kremlin au Justus Lipstus, 13 octobre 2013
Source photo: Vilnius Seimas, Marcin Białek, Wikimedia Commons