Si Solidarność est sur toutes les lèvres aujourd’hui à l’évocation de la dissidence polonaise contre l’oppression communiste, l’Église polonaise l’était en ces temps-là sur celles des ouvriers en lutte. Pourquoi et comment l’Église menacée est entrée dans la lutte…
L’Église, du côté des opprimés
En 2007, les aveux de collaboration de la part de membres du clergé polonais (dont l’ex-futur primat de Pologne Mgr Wielgus !) avec le régime communiste de l’époque en auraient presque fait oublier le rôle que l’Église polonaise a tenu dans la résistance, aux côtés de Solidarność. Et pourtant, le clergé polonais est bel et bien présent sur le terrain : on voit des prêtres recevoir les confessions d’ouvriers lors des grèves de 1980 sur les chantiers navals de Gdańsk, s’enfermer avec eux dans les usines en attendant la signature des accords entre Solidarność et le gouvernement au 31 août 1980, et surtout, un peu partout dans le pays, on entend des homélies enflammées à l’encontre du gouvernement qui brime la liberté individuelle de leurs fidèles. Jerzy Popiełuszko est de ceux qui dénoncent le régime et s’engagent aux côtés de Solidarność.
Tout d’abord aumônier dans les aciéries de Huta Warszawa, à Varsovie, le père Popiełuszko noue des liens étroits avec le mouvement ouvrier et Solidarność. Après que la loi martiale est décrétée en décembre 1981 et Solidarność déclaré hors-la-loi, le père Popiełuszko célèbre chaque mois des « messes pour la patrie » réunissant des milliers de fidèles autour de l’église Saint-Stanislas à Varsovie. Ces moments rares de rassemblement autorisé lui permettent de faire passer des messages politiques anti-gouvernementaux et anti-communistes, exhortant les Polonais à la résistance. Dans le collimateur du Ministère de l’Intérieur, il est emprisonné puis amnistié en 1983, réchappe d’un accident orchestré par la Służba Bezpieczeństwa (les services de sécurité polonais) pour être finalement kidnappé et assassiné quelques jours plus tard, en octobre 1984. Son engagement a été de courte durée, mais reste gravé dans la mémoire collective polonaise comme le symbole de la résistance religieuse face à la dureté du régime communiste.
La religion comme dissidence
L’intervention de membres du clergé dans la défense des droits des citoyens a renforcé leur foi dans la capacité de l’Église à représenter le peuple polonais. Et en effet, l’identité polonaise s’est construite dans le catholicisme : pour la grande majorité de la population, être Polonais, c’est être catholique. À l’accession de Karol Wojtyła, archevêque de Cracovie, à la papauté en 1978, la population entière est en liesse. Cette nouvelle arrive en plein marasme économique alors que la population est plongée par le régime communiste dans la misère matérielle et morale. Un Pape polonais représente à la fois une fierté nationale et une lueur d’espoir. Pour son premier pèlerinage en Pologne en 1979, Jean-Paul II est accueilli triomphalement par les Polonais venus en masse ovationner « leur » Pape, sous l’œil d’un régime opposé à toute « aliénation » par la religion.
D’étroits liens se tissent alors entre la religiosité d’un peuple et sa résistance face à l’oppresseur. Car afficher son attachement au catholicisme, c’est revendiquer sa polonité, c’est être dissident. C’est pourquoi lorsque les Polonais se pressent pour acclamer Jean-Paul II, ou se massent dans les rues de Varsovie pour les funérailles du père Popiełuszko, ces actions prennent immédiatement un caractère politique. C’est pourquoi Lech Wałęsa porte une image de Notre-Dame dans le revers de sa veste, et est reçu à Rome par Jean Paul II en janvier 1981. La relation entre l’Église polonaise et la société civile se nourrit de sentiments anti-gouvernementaux et anti-communistes partagés, dans une dialectique de renforcement mutuel.
Quand l’URSS attaque, l’Église contre-attaque…
Et l’Église polonaise a su se servir de cette perméabilité de l’identité nationale à la foi catholique. Le cardinal Wyszyński, Primat de Pologne entre 1952 et 1981, combat le régime communiste avec des discours qui mêlent adroitement les références nationales et religieuses. Il n’hésite pas à exhorter les Polonais à la « résurrection » de la nation, et grave ainsi dans l’esprit de tous que le progrès social, désiré par les opposants au régime communiste, est indissociable de la religion.
Lorsque Jean-Paul II entame son pèlerinage en 1979, il prononce, comme une menace au régime communiste, ces mots maintenant célèbres : « on ne peut exclure le Christ de l’histoire de l’homme, en aucun endroit de la Terre ». Si, dans la lutte contre le pouvoir en place, le but que poursuit l’Église est la liberté du peuple polonais, sa propre survie et son pouvoir sont également en jeu dans cette partie du monde. La Pologne, par son histoire, sa culture et son pape, est le fief d’une Église qui ne saurait être reléguée au second plan. Le rôle de médiateur qu’elle tient à endosser autour de la Table Ronde en 1989 doit lui permettre de s’imposer comme un interlocuteur incontournable en cette période de transition. Ses prises de position ne sont cependant pas sans risque : par là, elle engage sa parole et sa crédibilité, en donnant son aval aux décisions prises, au risque de répercussions politiques incontrôlées et indésirables. Néanmoins, c’est un pari réussi : son pouvoir est désormais bien assis dans une Nouvelle Pologne plus catholique que jamais.
La dissidence polonaise ne peut être envisagée sans le rôle que l’Église a joué : elle a accompagné la société civile dans sa quête de liberté et fédéré les volontés dissidentes dans la foi catholique. Mais la survie de l’Église assurée, que reste-t-il aujourd’hui des rêves de progrès social partagés avec les dissidents ?
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dossier d'octobre 2009 : La dissidence, quel passé pour quel avenir ?
Sur Internet
À lire
- Michnik, Adam, L'Église et la gauche, Seuil, collection Seuil Essais, 1979
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