Le peuple du renne, c’est comme cela que l’on perçoit traditionnellement les Sâmes, peuple autochtone vivant dans quatre pays d’Europe du Nord, de la Norvège à la Péninsule de Kola en Russie, en passant par la Suède et le Nord de la Finlande. Ils vivent dans des pays différents, mais possèdent une langue, une culture et des traditions communes. Aussi, depuis les années 1980, ils jouissent de plus en plus de droits relatifs à leur statut de peuple autochtone ou de minorité nationale, ce qui leur a permis de créer de nombreuses institutions les représentant au niveau local et national, mais aussi au niveau international.
Un territoire commun : le Sápmi
Les légendes racontent que les Sâmes habitent cette région d’Europe depuis les temps immémoriaux. Il est en effet très difficile de dire quand ces tribus se sont installées sur ces terres plutôt hostiles. Cependant, à l’origine, leur territoire, qu’ils appellent Sápmi, était nettement plus grand. Ils ont été petit à petit repoussés de plus en plus vers le Nord suite aux vagues de colonisation danoises, suédoises, norvégiennes et enfin finlandaises faisant peu de cas des populations en place.
Aujourd’hui le Sápmi comprend les parties côtières de la Norvège et leurs arrière-pays, aux environs de Trondheim jusqu’au Cap Nord, de plus d’un tiers de la Suède traversant les régions du Jämtland, du Västernorrland, du Västerbotten et le Norrbotten. Dans le Grand Nord finlandais, ils habitent essentiellement dans la région de la Laponie (Lappland – Lappi) et enfin en Russie dans la péninsule de Kola.
On compte de nos jours entre 60.000 et 100.000 Sâmes. Pourquoi un tel écart ? Parce qu’il n’y a aucune statistique officielle commune aux Sâmes. La majorité d’entre eux vit en Norvège (40.000), ils sont même majoritaires dans plusieurs villes du nord du pays, comme à Kautokeino ou à Karasjok. En Suède, on dénombre 20.000 Sâmes. On les trouve particulièrement dans les villes de Jokkmokk, Kiruna, Luleå et Umeå. En Finlande, ils sont environ 7.000 et sont principalement localisés dans les environs de Rovaniemi, Inari et Sodankylä. Enfin, en Russie, les quelques 2.000 Sâmes sont tous dans la péninsule de Kola, dans la région de Mourmansk. C’est en Russie qu’ils jouissent du moins de droits et où ils sont les plus vulnérables, notamment leurs langues.
Quelques éléments d’histoire
Les Sâmes ont une très longue histoire, mais on n’arrive toujours pas aujourd’hui à déterminer quand les premiers Sâmes se sont installés sur ces territoires. Les premières traces retrouvées remontent à l’Âge de Pierre (9.000 avant JC) ; il s’agit de restes d’un village sâme dans les environs de l’actuelle ville d’Arjeplog en Suède. Suite à la fin de la période glaciaire (1800-900 avant JC), le climat change et c’est à partir de là que les Sâmes adoptent une vie de transhumance été/hiver pour l’élevage de rennes.
La toute première marque de reconnaissance de ce peuple par une autorité est venue en 1543 par le roi de Suède, Gustav Vasa. Les Sâmes ont désormais le droit de jouir de certains droits dans les limites des « frontières de la Laponie ». L'histoire de ce peuple est surtout marquée dans un premier temps par les fluctuations de frontières, particulièrement entre la Norvège et la Suède et entre la Suède et la Russie puis, à partir de l’indépendance finlandaise, avec la Finlande. Ces différents changements de régimes les ont littéralement spoliés, chaque Etat considérant le territoire sâme comme le sien. Ainsi, pendant une période, ils ont même dû payer des taxes aux trois Etats.
D’autre part, à partir du 17ème siècle, les Sâmes ont vu leurs droits se réduire par les vagues de colonisations, les contraignant à se déplacer de plus en plus vers le Nord. Cependant, en 1751 est signé le "Codicille Lapon", considéré par les Sâmes comme un traité établissant les limites de leur territoire. Il les autorise en effet à franchir les frontières avec leurs rennes au printemps et en automne et à utiliser les terres pour eux-mêmes et leurs rennes sans se soucier des frontières nationales, ni à qui appartiennent les terres qu'ils traversent. Ce traité est toujours en vigueur aujourd’hui, même si des réformes sont intervenues et que d’autres se préparent. Ce traité est en effet contesté par les gouvernements, notamment celui de la Norvège qui souhaiterait que le respect de la propriété privée soit mieux pris en compte. La crainte des Sâmes ici est celle que le traité soit totalement vidé de sa substance et de son esprit.
Avec la stabilisation des frontières et la modernisation de la société, les Sâmes ont été de plus en plus considérés comme un peuple arriéré. Cette vision atteint son apogée au 20ème siècle, où ils sont même considérés comme un peuple inférieur au peuple de la majorité nationale. Jusqu’à cette époque, on les appelait « Lapon » afin de mieux souligner ce caractère. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le terme « lapon » est très négativement connoté, d’autant plus qu’il les restreint à des régions administratives de Finlande ou de Suède. Ce sont des Sâmes habitant le Sápmi.
Une reconnaissance tardive…
La reconnaissance officielle du peuple sâme en tant que peuple autochtone par les États concernés n’est venue que récemment. C’est à la suite de la crise d’Alta-Kautokeino, à la fin des années 1970, que le gouvernement norvégien commence à prendre conscience de la dimension autochtone de ce peuple. Il voulait en effet construire une centrale électrique en plein territoire sâme mais ceux-ci s’y sont fermement opposés et avec l’aide des écologistes, ils ont réussi à faire entendre leur voix: cette centrale allait perturber et l’écosystème et la transhumance des rennes.
Le gouvernement norvégien commande alors une étude sur les Sâmes, qui sera remise au Parlement en 1984. Les conclusions du rapport entraînent une réforme constitutionnelle qui donne le statut de peuple autochtone aux Sâmes en 1988. Ce statut leur confère des droits, notamment linguistiques et culturels. Ils obtiennent le même statut par la même procédure en Finlande en 1999. En Suède, la Constitution ne les reconnaît pas en tant que peuple autochtone, mais ils ont le statut de minorité ethnique, ce qui leur donne aussi certains droits. En Russie, pays où de très nombreuses minorités vivent, ils n’en sont qu’une parmi les autres et ne jouissent pas de droits particuliers de par leur qualité de peuple autochtone d’Europe du Nord. En 1989, la Norvège signe, puis ratifie la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail, organe de l’ONU, relative aux peuples indigènes et tribaux, qui réforme la convention précédente relative aux populations indigènes et tribales. La Suède est en cours de réflexion pour la ratifier à son tour. Ce texte donne de nombreux droits socio-économiques et culturels à ces peuples, afin que leurs particularités, leurs traditions, soient mieux prises en compte, tout en les intégrant davantage dans la société.
Les symboles sâmes
Depuis le processus de reconnaissance, les Sâmes ont remis en avant les symboles constitutifs de leur identité collective. Ils ont un drapeau, un hymne, une journée nationale.
Le drapeau sâme a été adopté en 1986, créé par Astrid Båhl. Il représente les Sâmes en tant qu'enfants du soleil. Le cercle symbolise le soleil (rouge) et la lune (bleu). Il utilise aussi les couleurs traditionnelles que sont le rouge, le jaune et le bleu. L’hymne sâme s’appelle Sámi soga lávlla, ce qui signifie "la chanson du peuple sâme", écrit par Isak Saba, au début du 20ème siècle, et adopté comme hymne en 1986 en même temps que le drapeau.
La fête nationale sâme a lieu le 6 février, jour du premier congrès sâme, organisé à Trondheim (Norvège) en 1917. C’était la première fois que des Sâmes de pays différents se réunissaient afin de trouver des solutions communes malgré les frontières administratives.
Une langue commune
Les Sâmes vivent dans quatre pays, avec quatre nationalités, quatre langues officielles (norvégien [bokmål et nynorsk], suédois, finnois et russe), et comme nous venons de le voir avec des statuts juridiques différents. Cependant, en Norvège, en Suède et en Finlande, quelques-unes de leurs langues sont reconnues officiellement et ils peuvent les utiliser auprès des autorités administratives et judicaires dans les régions déterminées par la loi.
On parle généralement de la langue sâme, mais il en existe en réalité une dizaine. Les langues sâmes font parties de la famille des langues finno-ougriennes, soit de la même famille que le Finnois, l’Estonien ou le Hongrois.
On classe les langues sâmes en quatre groupes : le sâme du sud, le sâme du centre, le sâme du nord et le sâme de l’est. Dans chacun de ces groupes, on dénombre un ou plusieurs dialectes. Cela fait beaucoup de langues pour un peuple de cette taille, mais il ne faut pas oublier que dans ces régions de l’extrême nord de l’Europe, les gens vivent très isolés, et cela a été très longtemps le cas des Sâmes. Par conséquent, les langues ont évolué dans différentes directions, elles sont néanmoins restées très proches les unes des autres.
Il faut noter ici que tous les Sâmes ne parlent pas une des langues sâmes. En effet, suite aux nombreuses politiques d’assimilation, notamment en Norvège et en Suède, les Sâmes se sont désintéressés de leur langue, de leur culture et de leurs traditions. On estime aujourd’hui qu’une génération entière a été privée de cette part de leur identité.
Actuellement, moins de la moitié des Sâmes parle une des langues sâmes et près de 80% d'entre eux parle de sâme du Nord, ce qui fait que la très grande majorité des langues sâmes sont en danger et pour certaines l'extinction pourrait arriver d'ici une vingtaine d'année. L'une d'entre elles s'est récemment éteinte suite au décès de sa dernière locutrice ; il s'agissait du sâme d'Akkala, de la branche du sâme de l'est.
Étant des langues dites agglutinantes, les langues sâmes sont très riches, tout particulièrement pour ce qui a trait à la nature. Il existe en effet un nombre quasi incalculable de mots pour désigner le renne, selon son pelage, sa taille, ce qu’il représente, etc. Il en est de même pour la neige, selon sa consistance, sa couleur, sa densité, son aspect, etc.
Des traditions fortement ancrées
On associe généralement les Sâmes avec le renne. À l’origine plus chassés qu’élevés, l’élevage de rennes constitue néanmoins une très longue tradition sâme, de même qu’il représente une part très importante de leur identité. Il a longtemps rythmé leur vie tout au long de l’année. Du renne, tout est utilisé : la viande pour se nourrir et le commerce, la fourrure et les bois pour l’artisanat.
Le rite du marquage des jeunes rennes est particulièrement intéressant. Après avoir été attrapés au lasso, ils sont immobilisés afin de procéder au rite à proprement parlé. Le marquage ne consiste pas à leur mettre un badge, mais à les individualiser. En effet, les éleveurs marquent les jeunes rennes en leur découpant une partie de l’oreille, ce qui leur est indolore. Chaque marque étant unique, cela permet à l’éleveur de reconnaître ses rennes au milieu du troupeau.
Les Sâmes sont aussi des chasseurs et des pêcheurs. Avant d’élever les rennes, ils le chassaient. Aujourd’hui, la chasse se concentre plus sur l’élan, qui rapporte plus d’argent. Ce marché représenterait plus d’un milliard de couronnes suédoises, soit environ 100 millions d’euros, par an. La pêche s’est particulièrement développée au cours des années 1930 quand le renne s’est raréfié tant à cause de la chasse excessive que des hivers très rudes.
De nos jours, le seul élevage de rennes, de la chasse ou de la pêche ne permettent plus de vivre. Par conséquent, les Sâmes ont souvent plusieurs activités et couplent les activités traditionnelles avec celles issues du tourisme afin de faire partager leur traditions et de transmettre leur culture.
Les Sâmes ont aussi un artisanat particulièrement développé et diversifié. Les traditions artisanales sâmes sont transmises de génération en génération et sont fortement liées à leur mode de vie. C’est une part très importante de leur identité collective. Aussi, depuis 1993, une fondation a été créée en Suède afin de le préserver et de le protéger : Sameslöjdstiftelsen. Cette fondation est responsable de la mise en œuvre du label artisanal sâme, Sami Duodji, dans la production de produits par les Sâmes.
L’artisanat sâme est basé sur plusieurs matériaux, tels les écorces de bouleau et d’autres arbres, la corne, la fourrure, l’os et l’étain. Aussi, chaque région, voire chaque famille, a ses propres motifs et ses couleurs. Cependant, les Sâmes ont des couleurs traditionnelles, qui sont majoritairement celles de leur drapeau : rouge, bleu, jaune et vert. On retrouve ces mêmes couleurs dans l’élaboration des habits traditionnels sâmes, que l’on appelle gákti, toujours portés de nos jours, et tout particulièrement lors des célébrations officielles et les fêtes.
Il ne faut pas oublier la musique sâme, le yoik, qui utilise sa propre forme d’expression à la fois musicale et vocale. Il est très difficile de le définir ; il a pour but de capter son sujet dans son ensemble, dans plusieurs dimensions. Il ne parle pas de quelque chose, il se veut être ce quelque chose. Le yoik n’a pas besoin d’être chanté, d’avoir des mots, car son pouvoir narratif suffit à transmettre l’histoire. Le chanteur peut donc la raconter à travers des mots, une mélodie, un rythme, des expressions ou des gestes.
Les Sâmes sont ainsi un peuple avec une identité très marquée et qui, après avoir subi de très fortes politiques d’assimilation et d’intégration forcées, ont su se préserver et protéger aussi bien leurs traditions que leur culture. Malgré toutes ces barrières qui se sont posées et continuent de se poser devant eux, c’est un peuple uni, qui se sent solidaire.
Bien entendu, il est impossible de parler ici de tous les aspects de leur culture, et notamment de leur organisation institutionnelle, présente en Norvège, Suède et Finlande, mais aussi au niveau nordique avec notamment le Conseil Sâme qui coordonne les activités et les programmes dans les quatre pays où ils sont présents, en incluant autant que possible les Sâmes de Russie.
Pour en savoir plus
Sur Internet
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Un site d'informations générales sur les Sâmes en français, Les Sâmes - Peuple Arctique de Laponie
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Une encyclopédie en ligne sur la culture sâme (anglais)
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Le site du Conseil Sâme (sâme, norvégien, russe, finnois et anglais)
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Le site de la Fondation pour l'artisanat sâme (suédois et anglais)