La Croatie avance vers l'Europe à pas feutrés

Par Gabriel Kenedi et Elsa Ruault | 16 novembre 2011

Pour citer cet article : Gabriel Kenedi et Elsa Ruault, “La Croatie avance vers l'Europe à pas feutrés”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 16 novembre 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1309, consulté le 02 avril 2023

La Croatie pourrait rejoindre l'Union européenne en 2013. Dans quelques semaines, les Croates en décideront par référendum. Dans ce pays, l'Europe inquiète, intéresse peu. Et un courant eurosceptique se construit. Chaque mardi, des partisans du NON se réunissent à Zagreb pour sensibiliser la population.  Mais l’État, encouragé par les sondages, croit à un résultat positif. 

Des manifestants distribuent aux passants des tracts du parti SP (« le parti du changement »). Le lieu de leur meeting n'est pas étranger : ils se trouvent sur la place principale de Zagreb, lieu où l'on se presse vers son tram et point de rencontre inévitable. Certains s'arrêtent, discutent. D'autres ne prennent  même pas le temps de regarder le papier. « Je n'ai pas d'avis », déclare une femme, pressée de rentrer chez elle. Dans le tract, on trouve quatorze « bonnes raisons » de voter « non » au futur référendum, dont la date n'est pas encore fixée. Elle le sera après les élections législatives du 4 décembre. Damir est un jeune militant du SP de 23 ans. Un colosse de 2 mètres, tee-shirt blanc, cheveux rasés, qui vient de finir des études de finance en Autriche. L’Europe, il la connaît donc pour y avoir étudié. Et il est catégorique :

« En Europe, nous ne sommes pas perçus comme des gens normaux. On est la classe inférieure. Donc je sais que, même si je peux partir chercher du travail ailleurs,  je ne pourrai pas en trouver ». L’Europe ne le fait pas rêver. Et il est ulcéré par tous ces drapeaux de l'Union européenne qui prolifèrent devant chaque bâtiment officiel, dans Zagreb.

« Ces drapeaux, c'est comme une marque.  Donc, c'est une manière indirecte de dire aux gens que l'UE c'est bien ». Avec ses amis du SP, il veut les enlever, tous ces drapeaux qu'il juge ostentatoires et illégaux.

Trop petite Croatie

Tour à tour, des personnes prennent la parole, donnent leur point de vue, acclamées ensuite par une poignée de militants. Parmi eux, Manjan Bosnjak. Il est secrétaire d'un parti plutôt marginal, « Seulement la Croatie ». L'homme a un anglais professionnel, un air d'universitaire, et dénonce un « scandale démocratique » :

« Ce que nous voulons, c'est ouvrir le débat. Malheureusement, jusqu'à maintenant, les Croates n'ont accès qu'à une partie des arguments, car les élites politiques ont décidé que l'adhésion à l'Union européenne est  très bonne chose. Dans les médias, on entend seulement : «l'UE c'est bien, l'UE c'est bien ». Les gens qui pensent le contraire sont marginalisés dans les médias. »

Pour le représentant de ce parti de droite nationaliste, la Croatie, jeune pays indépendant depuis 20 ans, perdrait une partie de sa souveraineté en rejoignant l'Union et n'aurait pas de pouvoir politique.

« Nous sommes une petite nation de 4,3 millions d'habitants alors que l'UE est un gigantesque État, de 500 millions d'habitants. Nous représenterions moins de 1% de la population dans l'Union.  Nous ne sommes pas compétents économiquement, nous avons subi des années de communisme, une terrible guerre destructrice. Nous ne sommes pas prêts.»

Tous ces militants ont le même argument : les unions, la Croatie en a expérimentées à ses dépens pendant de longs siècles. À présent que le pays est indépendant, ils n'en veulent plus. Ils sont méfiants. D'autres ne voient pas le bénéfice qu'une adhésion apporterait, contenu de la crise économique qui touche l'ensemble des 27. « Si nous faisons partie de l'Union Européenne, dans deux ans, nous serons la Grèce », lance un homme d'une quarantaine d'années.

Le « danger » de l'immigration

L'autre peur, c'est celle de l'ouverture des frontières.  Manjan Bosnjak acquiesce volontiers dans ce sens. « Potentiellement, l'immigration est une grande menace, vu notre situation démographique. Il y a de moins en moins d'habitants en Croatie. S'il y avait une vague importante d'immigration, venant d'Italie ou d'ailleurs, les étrangers deviendraient peu à peu majoritaires. »

Peter, qui se trouve à deux pas de lui, est d'accord. Cet étudiant de 24 ans est le seul de sa famille à ne pas vouloir voter en faveur de l'UE.  « Je n'ai pas de problème avec les étrangers. S'il vous plaît, ne pensez pas que je suis raciste. Mais si nous entrons dans l'UE, nous ne serons plus maîtres de nos frontières ». Il en est persuadé, « l'UE ne nous donnera pas une meilleure vie. Et je veux une meilleure vie ». Avant de conclure, pour nuancer : « tout n'est pas noir. Il y a quinze ans, on aurait été en prison pour une telle manifestation ».

Damir et Peter ne sont pas les seuls jeunes désenchantés par l'Europe. L'ONG Babe a mené une étude il y a un an et demi, sur l'opinion des Croates sur l'UE. Et le résultat est étonnant, pour Sanja Sarnavka, présidente de l'ONG. « On s'est rendu compte que les plus sceptiques sont les jeunes et les retraités. On est le seul pays d'Europe dans ce cas». Cette blonde, activiste et militante féministe, qui nous a reçus dans son bureau de la Maison des droits de l'homme, estime que « les gens sont plutôt pessimistes par rapport à l'idée de rejoindre l'UE. Mais il y a une intense campagne de communication pour pousser les gens à voter pour. »

À entendre les manifestants anti-UE ou Sanja, le référendum risque donc d'être serré. Mais, du côté du ministère des Affaires étrangères, le son de cloche est différent.

Des sondages favorables à l'UE

Zvonimir Fkra-Petešić est le directeur de la campagne de communication de l'UE en Croatie. La trentaine, costume de technocrate, cravate impeccable, il s'exprime dans un français parfait. C'est lui, l'homme des drapeaux, l'homme des spots publicitaires. Il n'est pas du tout d'accord avec l'analyse de Sanja Sarnavka. Le référendum sera selon lui un succès pour le « OUI » :

« Il faudrait un changement radical par rapport à la tendance de fond qui est enregistrée depuis six ans où il y a une nette proportion de Croates qui sont favorables à l'adhésion ».

Et les sondages semblent lui donner raison. Si l'élection avait lieu ces jours-ci, 82 % des personnes se déplaceraient. 58 % des Croates voteraient en faveur de l'adhésion à l'Union, 31 % voteraient contre. Tel est le résultat d'une enquête Ipsos réalisée du 1er au 20 septembre.  Quant au présumé euroscepticisme des jeunes et des retraités, il estime qu'« il n'y a pas d’exception croate en la matière. Les jeunes et les retraités font partie des populations les plus favorables ».

L'euroscepticisme apparaît donc minoritaire et peu audible, vu les moyens dépensés pour faire campagne en faveur de l'UE : environ deux millions d'euros. De l'argent qui sert surtout à financer les nombreux spots publicitaires en faveur de l'Union européenne. Des messages très simples, qui visent à toucher le maximum de personnes, la campagne ratisse large.  Élaborés à partir des 250 000 questions posées par les citoyens au central téléphonique gratuit « Allo UE », lancé en 2007. Zvonimir Fkra-Petešić explique le fonctionnement de ces spots.

Mais surtout, l'adhésion a le soutien des deux partis principaux, le HDZ (droite) et le parti Social-Démocrate (centre-gauche), mais aussi de la plupart des médias. Le 6 décembre, la Croatie signera son contrat d'entrée dans l'Union européenne. Ce sera ensuite aux Croates de décider. Mais avant, ils devront élire un nouveau Parlement, le 4 décembre. La date du référendum sera alors fixée. Zvonimir Fkra-Petešić s'enorgueillit du chemin parcouru par la Croatie, dans un contexte difficile, vu la crise que traverse l'Europe. 

Mais en Croatie, l'adhésion à l'Union européenne, si elle est bien engagée, n'est pas jouée d'avance, malgré les assurances du directeur de campagne. Réponse dans quelques semaines.

 

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Source photo: © Gabriel Kenedi et Elsa Ruault pour Nouvelle Europe