La clause d'opt-out de la République tchèque à l'application de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne

Par Alena Petrikovičová | 4 avril 2012

Pour citer cet article : Alena Petrikovičová, “La clause d'opt-out de la République tchèque à l'application de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 4 avril 2012, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1463, consulté le 02 juin 2023

3 novembre 2009, l'Europe respire. Le président de la République tchèque, Václav Klaus, accepte de signer le traité de Lisbonne. Cette signature tardive, conditionnée par une dérogation à l'application de la Charte des droits fondamentaux, met fin à une procédure de ratification semée d'obstacles.

Construction européenne et droits fondamentaux

Les droits fondamentaux dans l´Union européenne se sont développés d´une manière fascinante. En 50 ans, nous sommes passés d'une absence originelle à la formulation d´un catalogue des droits  spécifiques à l'Union à travers l'adoption d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi, c'est le 7 décembre 2000 que l'Union a proclamé la Charte mais le texte, ambitieux dans son contenu, n'avait alors aucune portée juridique contraignante. Il a fallu attendre le traité de Lisbonne adopté en décembre 2007 pour que la Charte se voit reconnaître un caractère contraignant. En la plaçant au même niveau que les traités, l'Union européenne espère avoir franchi une étape majeure dans la protection des droits fondamentaux.  

Les tensions politiques liées au caractère juridiquement contraignant de la Charte 

Toutefois, le caractère contraignant de la Charte a eu pour conséquence d'exacerber les résistances politiques de certains Etats membres. Le Royaume-Uni, la Pologne, et plus tard la République tchèque, ont demandé et obtenu une dérogation à l'application de la Charte dans leurs systèmes nationaux. L'opt-out, qui renvoie parfois à l'image d'une «Europe à la carte», est une dérogation accordée à un pays ne souhaitant pas se rallier aux autres Etats membres dans un domaine particulier de la coopération communautaire, afin d’empêcher un blocage général. Est ainsi annexé au traité de Lisbonne, le «Protocole sur l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni», appelé aussi Protocole n°30. Pour obtenir cette clause, chaque Etat a présenté un argumentaire particulier pour expliquer que la Charte aurait une influence néfaste dans leur ordre juridique. Pour le Royaume-Uni cela concernait les droits sociaux et pour la Pologne, le respect de la vie privée et familiale ainsi que la protection du mariage.

La spécificité de la dérogation tchèque

Contrairement aux deux autres Etats membres, la République tchèque a fait sea demande de dérogation après la signature du traité de Lisbonne. Au conseil européen d'octobre 2009, Klaus a fait la demande, conditionnant sa signature de ratification à cette dérogation. Une solution juridique pour résoudre une crise politique a donc dûu être trouvée. Les chefs d'Etat ont alors convenu, que lors de la conclusion du prochain traité d'adhésion, un protocole sur l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la République tchèque sera annexé.

Les décrets Beneš au cœur de l'opt-out

Pour obtenir l'opt-out, le motif officiel du président Václav Klaus était de se prémunir contre les risques de mise en cause des «décrets Beneš», qui après la Seconde Guerre mondiale avaient servi de base juridique à l'expulsion, l'expropriation et la confiscation des biens des minorités allemandes  installées dans les Sudètes. Par les décrets du président de la république Edvard Beneš, entre 1945 et 1946, environ 2,9 millions d'Allemands furent proclamés «ennemis de l'Etat». La décision tchécoslovaque a profondément et durablement meurtri les populations allemandes de cette zone géographique.

Durant les années 2000 et les négociations tchèques d'adhésion à l'Union européenne, la question de la validité des décrets Beneš est revenue sur la scène politique. Les dirigeants autrichiens  désignèrent l'expulsion des minorités allemandes comme inhumaine et illégale menaçant ainsi de mettre leur veto à l'entrée de la République tchèque si les décrets n'étaient pas déclarés non valables.

Pour trancher ce litige, les institutions européennes ont constitué deux groupes d'experts. Ils ont considéré que les décrets ne constituaient pas une entrave à l'entrée de la République tchèque dans l'Union et que les dirigeants tchèques n'étaient pas obligés de les annuler.

Václav Klaus, acteur clé des négociations

Il apparaît clairement que sans Klaus, la République tchèque n'aurait probablement pas demandé un opt-out. Au cours des dernières années, il avait plusieurs fois montré son opposition à la Charte des droits fondamentaux, justifiant son opposition par la menace possible de la souveraineté tchèque. En décembre 2008, au moment de la signature du traité de Lisbonne, il déclare, devant le drapeau européen, que sa signature signifie la fin de la souveraineté de la République tchèque. Dans un discours du 5 juin 2008, le Président avait déjà présenté la Charte des droits fondamentaux de l'UE comme un document absolument inutile dans la mesure où les Etats membres disposent de leurs propres catalogues des droits. Selon lui, la Charte ne serait légitime que si l'Union européenne venait à être dotée d'un statut fédéral.

Václav Klaus est connu pour ses opinions eurosceptiques et ses critiques de l'Union européenne. Son comportement face à la Charte a naturellement irrité la plupart des dirigeants européens, qui ont déclaré que son argumentaire basé sur les décrets Beneš était le plus absurde et insensé qu'ils n'aient jamais entendu. La question des véritables motivations de Klaus pour obtenir cette dérogation se pose toujours. La Charte des droits fondamentaux de l'UE représentait-t-elle une véritable menace pour les intérêts nationaux et la souveraineté tchèque, au point qu'une dérogation à son application fût nécessaire ?

Le concept de souveraineté nationale donne à un Etat la possibilité de signer et ratifier des traités internationaux. Cette même souveraineté lui donne également le droit, sous certaines conditions, de les dénoncer. Mais, dans tous les cas, un Etat ne peut se voir engager par un traité international qu'il n'a pas accepté de signer et ratifier. En particulier c'est le cas d’organisation comme l'Union européenne où les frontières sont de moins en moins pertinentes. Avec la globalisation, on assiste à la montée de la coopération internationale et la coordination des politiques nationales, ce qui implique que le caractère intégrationniste de l'Union pourrait au contraire présenter une protection et un renforcement de la souveraineté des Etats membres, surtout envers les facteurs économiques et géopolitiques externes.

Suite à la demande du Sénat, la Cour constitutionnelle tchèque a statué sur la question de savoir si le futur caractère contraignant de la Charte pouvait menacer la souveraineté nationale. Dans son  arrêt, publié en 2008, la Cour considère que le traité de Lisbonne, y compris la Charte des droits fondamentaux, sont conformes à la Constitution et rien n'empêche son ratification. Le Sénat tchèque a quand même demandé une deuxième révision du Traité, cette fois si l'exception demandée par Klaus est en conformité avec la Constitution. Même si la plupart des partis politiques, la diplomatie et la Cour constitutionnelle considéraient les craintes de Klaus comme inutiles et sans fondement, le gouvernement a finalement approuvé les demandes de Klaus, qui  ont ensuite été formulées rapidement en trois semaines en coopération avec la présidence suédoise.

Une stratégie de négociation qui divise

La stratégie mise en place par le président tchèque s'est révélée d'une efficacité redoutable. En présentant ses exigences à la fin du processus de ratification par les 27 Etats membres, Klaus se doutait que son chantage fonctionnerait. Le processus de ratification ayant été chaotique, les dirigeants européens étaient prêts à céder pour que le traité rentre enfin en vigueur, sans être pour autant convaincus par ses arguments. Mais, en disant vouloir protéger son pays, Klaus l'a peut- être affaibli. Par la brutalité de sa stratégie, il s'est opposé à la culture de consensus qui prévaut dans l'Union européenne. Et à travers l'Union européenne, c'est à l'ensemble des Etats membres qu'il s'est opposé. «Enfant terrible» de l'Union européenne, Klaus s'est également marginalisé dans son pays.

En effet, la dérogation divise la scène politique tchèque. D'un côté, la droite craint la remise en cause des droits sociaux des ressortissants tchèques devant les institutions européennes. De l'autre, la gauche soutient que la dérogation ne permettra pas à la République tchèque de renoncer à l'application des droits sociaux prévus par la Charte, et considère donc cette dérogation comme absolument inutile.

Le gouvernement de la République tchèque souhaite toujours que son pays adhère au protocole n°30 selon la procédure prévue au Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009. Selon toute vraisemblance, le protocole tchèque sera annexé en même temps que l'entrée de la Croatie dans l'Union en 2013. Jusqu'à l'entrée officielle, la Charte des droits fondamentaux est pleinement applicable et efficace pour la République tchèque, autant que pour les autres Etats membres.

Cette dérogation apparaît davantage comme une manœuvre personnelle de Klaus que comme la demande, justifiée ou non d'un Etat souverain. Vaclav Klaus a été seul à défendre sa position, aussi bien au niveau européen mais également dans son propre pays en s'opposant à la majorité parlementaire et au juge constitutionnel. L'opt-out apparaît donc comme un processus relativement anti-démocratique.

Il n'est d'ailleurs pas encore complètement acquis que la République tchèque accepte la dérogation. Pour des raisons de politique interne, il est possible que les partis présents au Parlement renoncent à l'exemption à la Charte.

Et alors, les manœuvres de Klaus pour perturber l'Union européenne se révèleront vaines.

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Source photo  : Prague Castle sur wikimedia.commons