Membres de la dite Europe médiane ou encore de pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO), la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie ont dû, de leur candidature à leur pleine adhésion, adapter de façon considérable leur système économique, institutionnel et juridique, pour s’intégrer au processus de construction européenne. Comment, par exemple, ces huit pays ont-ils été progressivement intégrés au programme de réseaux transeuropéens de transport (RTE-T), garants d'une circulation effective des personnes et des biens d'un bout à l'autre de l'Union ?
Les bases d'un espace ferré européen
Le Traité de Maastricht a notamment introduit la politique des réseaux transeuropéens de transports, d’énergie et de télécommunications. Dans un cadre de marché intérieur, elle vise à rapprocher les économies et à développer la cohésion économique et sociale. Quatre modes de transport sont concernés : la route, le fluvial/maritime, le rail et le transport aérien.
Les années 1990 voient s’accentuer la baisse constante du trafic « fret et voyageurs » sur les réseaux ferrés des pays européens, alors que le transport routier (camions et voitures particulières) ne cesse d’augmenter. Dans le cadre de la politique des réseaux transeuropéens de transport, le mode ferroviaire est perçu comme un des moyens alternatifs à la route, en raison de son moindre coût environnemental et de ses performances sur la longue distance. La création d’un espace ferré européen doit voir le jour.
Des aides nécessaires au développement d'un tel réseau à l'Est
L’Union européenne peut s’appuyer sur le réseau ferroviaire des huit pays candidats d’Europe centrale et orientale (PECO), qui a été privilégié par l’URSS, au sein du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM) pour le transport des marchandises. Les défis à relever restent toutefois nombreux. Après la chute du régime communiste, l’économie de ces pays candidats n’est pas en mesure de supporter les investissements massifs pour la modernisation et l’implantation d’infrastructures ferroviaires. La Communauté européenne va suppléer aux difficultés financières, en les intégrant dans le programme PHARE, dont le développement et la régénération des infrastructures, notamment des transports, sont une des missions. En 1999, dans le cadre de l’Agenda 2000, un nouvel instrument financier est mis en place, l’ISPA (Instrument structurel de pré-adhésion), spécialement réservé aux pays candidats, pour les questions d’environnement et de transport. Il faut citer aussi l’engagement de la Banque européenne d'Investissement (BEI), de la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) et de la Banque mondiale dans ces projets, par leurs prêts.
Les interconnexions au sein du réseau ferroviaire entre les Vingt-Sept ne sont pas toujours possibles, en raison de normes techniques différentes. Accentué par un défaut d’uniformisation des systèmes, l’effet frontière est un handicap majeur à la réussite d’un réseau ferroviaire performant (écartement des voies, variation de courant électrique, changement de conducteurs, …). Ces délais d’attente aux frontières ne participent pas au développement d’une rapidité et d’une rentabilité plus grandes du transport ferroviaire.
Une élaboration progressive du maillage ferroviaire
La politique communautaire des transports inclut rapidement l’aire des pays d'Europe médiane dans son programme d’action. C’est à la suite de trois conférences paneuropéennes des ministres des Transports (en 1991, 1994 et 1997) que dix corridors, ou axes de circulation, sont dessinés. Ils tentent de prendre en compte les questions essentielles d’interconnexion et d’interopérabilité des réseaux nationaux entre eux. Une carte éditée par la Conférence européenne des ministres des Transports (CEMT) nous donne à voir les tracés d’un réseau qui a été voulu performant et étendu ; plusieurs lignes se croisent, couvrant ainsi une grande partie des PECO.
Dans une volonté de construction d’un espace ferroviaire européen et dans la perspective de l’élargissement, l’Union européenne consolide peu à peu le maillage ferroviaire en Europe médiane, à l’horizon de l’an 2000. En effet, le réseau des pays candidats est rattaché à celui de l’UE-15, suite aux analyses de plusieurs groupes de travail. Le premier, TINA, Transport Infrastructure Needs Assessment (1995-1999) juge que les corridors sont une excellente base pour construire un réseau ferroviaire européen. Ils doivent être complétés, afin de dynamiser les maillages nationaux.
Le Livre blanc La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix (2001) est une étape importante. En effet, il y est exposé le souhait d’un rééquilibrage entre les modes de transport, dans un souci environnemental et de réduction de la congestion. En 2002, le rapport du groupe Van Miert, chargé d’évaluer la pertinence des projets des pays membres ou candidats, donne la priorité au rail et voies d’eau, respectant ainsi les exigences du Livre blanc. Quatre axes ferroviaires sont retenus pour les huit pays candidats d'Europe médiane et sont inscrits dans la décision sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transports (2004). Il s’agit en fait de prolonger les premiers corridors.
Raccrocher le train de l'acquis communautaire est un long processus
Leur entrée dans le marché intérieur a contraint ces huit pays d'Europe médiane à mener d’importantes réformes législatives et techniques de leur système d’exploitation du réseau ferré national. D’une part, chaque nouveau membre a eu à prendre en compte l’acquis communautaire ; trois ensembles de directives ou « paquets » concernent le transport ferroviaire (de 2001 à 2004). Ils légifèrent principalement l’interopérabilité, la sécurité et le droit d’accès au réseau de transport de fret ferroviaire (D 2001/51/CE). Cette dernière disposition entraîne une séparation entre la gestion de l’infrastructure ferroviaire et l’exploitation des services de transport des entreprises ferroviaires. En matière d’interopérabilité, des normes techniques communes sont établies, assurant ainsi la performance du réseau ferré européen (D 2004/50/CE). Un système de communication est mis au point, l’ERTMS (European Rail Trafic Management System). Il permettra sûrement d’accentuer la coopération entre les compagnies ferroviaires des nouveaux adhérents et la compétitivité, grâce à une gestion plus efficace et rentable pour les usagers (entreprises de fret ou voyageurs). Les efforts doivent surtout être portés sur la région baltique, où l'écartement des voies est basé sur les normes techniques de la Russie.
L’intégration de ces pays est aussi un défi pour les compagnies de chemin de fer. Elles doivent participer à la réalisation d’un réseau ferré national pertinent, essentiel pour un espace ferroviaire européen intégré. Elles ont aujourd’hui à faire face aux exigences européennes de logistique, de flexibilité du temps et des tarifs, de puissance et de capacité des machines, et de sécurité dans un marché concurrentiel. Chacune de ces compagnies doit être compétitive.
Il faut aussi souligner qu’en tant que membres de l’UE, les huit nouveaux membres sont désormais bénéficiaires des aides structurelles de la politique régionale, notamment du Fonds de cohésion. Ils ont ainsi été insérés dans le programme INTERREG III.A (2004-2006), qui visait à « rapprocher les régions européennes » sur un plan économique et social. Cette coopération transfrontalière peut profiter à la politique transeuropéenne des transports, en favorisant l’échange d’information et le travail bilatéral, indispensables pour une harmonisation des systèmes ferroviaires.
Les promesses et les interrogations autour d'un tel projet transeuropéen
A terme, l’espace ferroviaire européen offrira une meilleure circulation des personnes et des biens à travers l’Europe, dans des délais assurés plus courts. Il place d'ores et déjà ces pays d’Europe médiane au cœur du trafic européen, reliant les ports de la Mer baltique, la Méditerranée et l’Océan atlantique. Le trafic avec les pays voisins de l'UE représentait, en 2004, 40% des revenus totaux du fret ferroviaire des nouveaux pays membres. Ce réseau ouvre aussi la porte vers les nouvelles frontières de l’Est, c’est-à-dire la Russie, partenaire commerciale et énergétique de l’Union européenne. La Lituanie, par exemple, est un point de passage incontournable entre la Russie et Kaliningrad. Le corridor "Rail Baltica" apparait comme un axe nord-sud essentiel entre les trois capitales baltes et vers le reste de l'Union, via la Pologne.
Cependant, de nouveaux défis se posent pour cet espace ferroviaire. Les nouveaux Etats membres seront-ils capables de financer la construction et l’entretien d’infrastructures aussi modernes et denses ? De nouveaux modes de financement, notamment nationaux, sont peut-être à envisager, comme le partenariat privé-public.
Il est possible de s’interroger également sur la viabilité d’un tel réseau face à la concurrence du transport aérien, avec la création de liaisons « low cost », pour les voyageurs européens. La route reste toujours aussi prépondérante pour le fret. Plusieurs données montrent que le rail n’arrive pas à contrebalancer la route. Ce dernier mode de transport, ainsi que l’aérien, font l’objet d’une politique communautaire spécifique et bénéficient aussi de réseaux transeuropéens.
Le rééquilibrage intermodal, souhaité par le Livre blanc de 2001, a été remis en cause par l'examen à mi-parcours qu'a réalisé et publié la Commission européenne en 2006. L'idée nouvelle de co-modalité est désormais mise en avant. Quelles seront alors les priorités techniques, politiques et financières de l'UE en matière de réseaux transeuropéens de transport et plus précisément ferroviaire ?
Zoom sur un des corridors : la "Rail Baltica"
En 2005, l'équipe du commissaire aux Transports et à l'Energie, Jacques Barrot, a réévalué les projets RTE-T, laissant pourtant une part au développement d'axes ferroviaires. Dans le cadre de cette réévaluation, des coordonnateurs ont également été désignés pour oeuvrer à un meilleur développement des projets de réseaux transeuropéens. Le 10 septembre 2007, comme ses collègues, Pavel Telicka, en charge de la "Rail Baltica" (projet n° 27), a rendu son deuxième rapport.
La "Rail Baltica" : l'exemple même et rêvé d'une connexion réellement opérationnelle entre la Pologne et la Finlande, en passant par les trois pays baltes, via Kaunas, Riga et Tallinn. Tout voyageur qui s'est déjà rendu et a souhaité traverser ces trois Etats s'est heurté à un problème simple : il n'existe pas d'inter-connexion ferroviaire. D'où l'importance d'un tel projet ferroviaire aussi bien pour le transport de fret que de passagers.
Soumis à une étude de faisabilité, il est ressorti que bien des questions d'ordre économique, financier, politique et environnemental devraient être abordées avant tout lancement de travaux ! Le coordonnateur a d'ailleurs adopté l'approche dite de "pas à pas" : la ligne ferroviaire sera améliorée au fur et à mesure. Elle doit pouvoir assurer au plus vite un transport de fret plus performant, en lien avec des économies en pleine croissance.
L'intégration de huit pays d'Europe médiane reste ainsi subordonnée à un point clé : le financement des projets. L'Union européenne prévient que si chaque Etat membre souhaite une avance rapide des RTE-T dans les nouveaux pays membres, ces derniers devront participer financièrement. Un long chemin reste de fait encore à parcourir pour voyager d'un bout à l'autre de l'Europe.
Pour aller plus loin
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Brochure de la Commission européenne sur les axes et projets prioritaires de RTE-T, en 2005
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Rapport du coordinateur pour la Rail Baltica - septembre 2007