Ne parler des relations entre les Juifs et l’Allemagne qu’à propos de la Shoah, c’est laisser en marge plusieurs siècles d’interactions et la récente immigration juive en provenance d’ex-URSS, important facteur de renouveau. Nouvelle Europe revient sur ces traces couvertes par la poussière du temps.
Les Juifs d’Allemagne avant 1990
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, notamment sous la République de Weimar, ont constitué une sorte d’âge d’or pour les Juifs d’Allemagne. Malgré une population réduite (500 000 personnes au début des années 1930), la conséquence en a été le développement d’une riche culture judéo-allemande, symbolisée par des philosophes comme Hannah Arendt ou Walter Benjamin, et portée par une population juive très fortement assimilée, parfois même convertie au protestantisme. Leur attachement à l’Allemagne était souvent profond, marqué par leur scepticisme vis-à-vis du projet sioniste (idée de la création d’un État pour les Juifs) ou par leur engagement dans les forces allemandes lors de la Première Guerre mondiale.
Désignés par certains comme responsables de la défaite allemande à cause de leur implication dans les affaires et la politique, ils ont assisté impuissants à la montée de l’antisémitisme et à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en 1933, ce qui a mis un terme à l’âge d’or judéo-allemand. Cette prise de pouvoir a été suivie par la promulgation des lois anti-juives de Nüremberg en 1935. Dès lors, la volonté d’une Allemagne judenrein s’est affirmée et la voie de l’émigration forcée a été privilégiée par les Nazis, qui n’hésitaient déjà pas à recourir à la violence physique (Nuit de cristal en 1938).
En conséquence, environ la moitié des Juifs allemands ont émigré avant 1939, en particulier l’élite intellectuelle et scientifique. Ensuite, la Seconde Guerre mondiale et la Shoah ont eu pour résultat la destruction quasi-totale de la culture juive sur le sol allemand, les Juifs restés en Allemagne, souvent âgés, étant presque tous exécutés sur place ou le plus souvent dans les camps de l’Est. Les derniers représentants de la culture juive allemande se trouvaient en 1945 déracinés à Paris, Boston, New-York ou en Palestine sous mandat britannique.
L’Allemagne post-hitlérienne : l’époque des ambigüités
Paradoxalement, l’immigration et le retour des Juifs vers l’Allemagne a débuté dès 1945. En effet, entre 1945 et 1948, environ 270 000 Juifs présents sur les sols polonais et soviétique ont choisi, face à l’antisémitisme dont ils étaient victimes, de rejoindre le sol allemand. Ils se sont installés dans des camps de déplacés mis en place à cet effet, notamment dans la zone occupée militairement par les États-Unis. Leur objectif était de manière quasi-unanime l’émigration vers les États-Unis ou la Palestine sous mandat britannique, l’Allemagne ne devant être qu’un point de passage.
Cependant, tous les Juifs n’ont pas quitté le sol allemand. En effet, tandis que quelques centaines de Juifs communistes ont choisi de s’implanter en République démocratique allemande (RDA) juste après sa création en 1949, quelques milliers sont restés en République fédérale d'Allemagne (RFA) après 1952, date de la fermeture de la quasi-totalité des camps de déplacés qui ont en réalité constitué les derniers shtetl du défunt Yiddishland. En 1950, moins de 30 000 Juifs résidaient en RFA et quelques centaines en RDA, tous souvent critiqués par leurs coreligionnaires partis en Israël et aux États-Unis qui leur reprochaient d’être restés sur le territoire de leurs bourreaux. En plus de cette critique, les Juifs allemands ont alors du faire face pendant quarante ans à deux types de comportements ambigus.
En RFA, l’ambiguité pouvait avoir un impact direct dans la vie des gens, mettant par exemple aux prises un rescapé des camps demandant des réparations et un fonctionnaire ayant travaillé à la saisie des biens juifs. En effet, la repentance (restauration des droits, compensations financières aux rescapés, etc.) et le philosémitisme d’État (soutien financier accordé à Israël) incarnés par Konrad Adenauer et Willy Brandt ont côtoyé la dénazification parfois médiatique et superficielle et l’inévitable réintégration rapide de Nazis à de nombreux échelons de la société (pour répondre aux besoins de reconstruction et au rôle de la RFA face au bloc communiste).
Autre exemple de message ambigu envoyé par la RFA à ses citoyens juifs : la présence d’Hans Globke, qui fut l’un des rédacteurs des commentaires des lois de Nüremberg (bien que jamais membre du parti nazi), aux côtés de Konrad Adenauer, antinazi de la première heure et artisan de la réconciliation avec les Juifs et de l’établissement de relations diplomatiques avec Israël en 1965.
Enfin, malgré le soutien parfois aveugle accordé par de nombreux titres de presse à Israël, une critique virulente d’Israël s’est développée à partir de 1967 (après la guerre des Six jours) articulée autour de mouvements de gauche et d’extrême gauche, mais surtout de personnes parmi les plus antifascistes et ayant le plus contribué au souvenir de la Shoah et à l’introspection allemande. Politique à l’origine et uniquement centrée sur Israël, cette critique a parfois dérivé ouvertement vers l’antisémitisme, créant une nouvelle ambigüité pour les Juifs de RFA.
Dans ce climat évolutif mais toujours relativement ambigu, les Juifs de RFA ont d’abord revêtu selon l’expression d’Olivier Guez « le statut de paria du monde juif » de par l’incompréhension voire l’hostilité de nombre de leurs coreligionnaires. Leur identité s’est globalement construite autour de l’utilisation de la langue allemande, du souvenir de la Shoah et d’un soutien à Israël. Ce soutien à Israël revêtait cependant pour certains, peu nombreux, une saveur particulière puisqu’une partie des Juifs présents en Allemagne après la création de l’État d’Israël (en 1948) a été constituée par des personnes de retour d’Israël, souvent incapables de s’adapter à ce nouvel État (difficultés de la vie quotidienne, nostalgie de la vie en Allemagne et de la langue, revirement politique et scepticisme vis-à-vis de la politique d’Israël). Au terme de ces années de reconstruction et de réaffirmation, la RFA comptait un peu moins de 50 000 Juifs au milieu des années 1980.
En RDA, l’égalitarisme communiste officiel et la lutte contre le fascisme et les anciens Nazis ont côtoyé l’antisémitisme officieux, conséquence de la lutte contre le « cosmopolitisme » et de la tendance naturelle à la bourgeoisie que la propagande attribuait aux Juifs. Concrètement, la situation des Juifs de RDA a semble-t-il été étrange, alternant entre purges et rétrogradations à l’égard de ceux qui plaidaient notamment pour la restitution de biens, et vie relativement agréable pour les communistes les plus convaincus, notamment les artistes tels Anna Seghers. Sur le plan international, la RDA s’est en outre révélée l’un des États les plus antisionistes tout au long de son existence, ne nouant jamais de relations diplomatiques avec Israël. Il semble néanmoins que ce point ait eu un impact relativement faible sur la politique menée à l’égard des Juifs de RDA, État qui paradoxalement sera celui qui ouvrira les portes de l’Allemagne à des centaines de milliers de Juifs.
Après 1990 : la terre de rédemption
En effet, face à des difficultés croissantes, la RDA a selon Olivier Guez décidé de jouer « la carte juive » en vue d’améliorer son image. Cette situation ambiguë des deux côtés du Rideau de fer a donc d’abord pris fin en RDA, qui a ouvert soudainement ses portes aux Juifs d’URSS. En URSS, le sentiment antisémite s’est brusquement développé en 1988 et après une courte période de calme, est revenu en force en 1990. À l’occasion d’une interview au Jungen Welt, journal publié en RDA, le grand rabbin de Moscou de l’époque, Adolf Chaevitch, a présenté cette situation. L’union culturelle des Juifs allemands de Berlin, première organisation sociale juive, a réagi rapidement à cette information en indiquant au gouvernement son désir de proposer l’asile aux Juifs d’URSS, victimes de discriminations et de persécutions. Suite à cela, le parlement de RDA, sous l’impulsion de son dernier Premier ministre Lothar de Maizière, a reconnu le 18 mars 1990 la responsabilité des deux États allemands dans le génocide des Juifs et a exprimé son désir d’une indemnisation des dommages subis.
Une des personnalités qui a le plus influencé la prise de la décision officielle sur l’immigration des Juifs d’URSS est Heinz Galinski, président du Conseil juif d’Allemagne, qui percevait ces immigrants comme une véritable chance historique pour la judaïté et pour le judaïsme allemands. Son but stratégique était non seulement d’aider les Juifs d’URSS mais aussi de donner un nouvel élan à la vie juive en Allemagne. Au sein des communautés juives d’Allemagne, il existait une certaine méfiance à l’égard des nouveaux arrivés qui étaient perçus comme des Juifs déracinés, ne connaissant ni les traditions, ni même les fêtes juives. Néanmoins, pour Galinski, qui voyait les communautés juives d’Allemagne en train de se dissoudre, les Juifs d’URSS puis d’ex-URSS constituaient le seul espoir.
Les touristes : les premiers réfugiés
Officiellement, le gouvernement de RDA a proposé aux Juifs d’URSS le droit d’asile le 11 juillet 1990. Les premiers à avoir profité de cette nouvelle mesure ont été des touristes qui se trouvaient à ce moment-là sur le sol est-allemand avec des visas professionnels ou touristiques. Au cours de l’été s’est ouvert le Centre de consultation pour les citoyens juifs étrangers, chargé de différentes fonctions dans l’encadrement des réfugiés, notamment le placement dans les camps d’accueil. À la fin de l’été 1990, 27 camps d’accueils étaient ouverts où les nouveaux arrivés pouvaient s’installer, recevoir de l’argent de poche et de la nourriture en attendant un permis de séjour pour cinq ans donnant droit à l’obtention du passeport et de la citoyenneté est-allemande et tous les droits qui s’en suivaient. Vers la fin de l’année 1990, près de 3700 Juifs soviétiques avaient demandé l’asile en RDA.
Alors qu’en RDA il suffisait de prouver sa judaïté (par le père, par la mère ou même par un des grands-parents), la procédure était différente en RFA, où l’on n’acceptait les demandes que dans le cas où la personne voulait devenir membre de la communauté religieuse juive. Le statut des Juifs soviétiques en RFA n’était pas privilégié et leurs droits n’étaient pas différents de ceux des autres réfugiés. Ils n’avaient accès ni au marché du travail ni à des cours d’allemand. Déjà en septembre, la RFA n’acceptait plus de demandes d’asile. La réunification des deux États allemands le 3 octobre 1990 a engendré une peur parmi ceux qui avaient décidé de rester en Allemagne car ils ne savaient pas comment le nouveau gouvernement les traiterait et notamment s’il permettrait à leurs familles, restées en URSS, de les rejoindre.
Les réfugiés officiels
Les peurs se sont vite dispersées car, même si Helmut Kohl envisageait l’instauration de quotas, la décision officielle d’accepter les réfugiés juifs en provenance d’URSS (et leurs conjoints non juifs également) et de leur attribuer le statut des « réfugiés par contingent » (Kontingent-Flüchtlinge) a été prise lors de la conférence de Dresde les 14 et 15 décembre 1990. Le nombre de réfugiés n’était pas réglementé, mais ils n’avaient pas le choix de leur destination car ils étaient répartis dans les régions allemandes proportionnellement à la population ; ainsi les quotas les plus élevés étaient attribués à la Rhénanie-Du-Nord-Westphalie (22.4%) et au Bade-Würtemberg (12.2%). Les ambassades d’Allemagne en URSS puis dans les États d’ex-URSS s’occupaient des procédures administratives de cette immigration.
À partir du moment où la législation permettait l’entrée officielle des Juifs (ex-)soviétiques, ils n’avaient plus besoin d’arriver avec des visas touristiques et de demander l’asile. Pourtant, cette dernière procédure continuait à exister car dans le cadre du schéma officiel il fallait entamer les démarches administratives dans le pays d’origine, et les candidats avaient peur d’être refusés.
Ce statut du « réfugié par contingent » était particulièrement privilégié car il prévoyait tout d’abord un permis de séjour illimité dans le temps ainsi que le droit à un logement, à la couverture sociale et l’accès au marché du travail. En cas d’échec dans la recherche de travail (ce qui fut souvent le cas), ce statut donnait également droit aux aides sociales. Les « réfugiés par contingent » habitaient d’abord dans des camps d’accueil ou dans des foyers dans les régions où ils étaient placés, en attendant le bulletin de placement dans une ville précise où ils obtenaient des logements municipaux sous la protection des communautés juives locales ou des organisations sociales allemandes. Ils pouvaient également bénéficier des allocations familiales, des aides aux enfants et aussi de cours gratuits d’allemand pour une période allant de six à dix mois. Il faut remarquer que les réfugiés ne pouvaient bénéficier de ces droits que dans les régions où ils étaient placés.
Malgré son gel pendant 18 mois, de début 2005 à mi-2006, l’immigration a repris, mais elle est maintenant agrémentée de critères. Quantitativement, en 18 années, cette immigration se chiffre à plus de 200 000 personnes, originaires de toutes les anciennes républiques soviétiques (principalement Ukraine et Russie) et majoritairement implantées dans les grandes agglomérations que sont Berlin, Munich, Francfort, Cologne et Hambourg. Le succès de l’Allemagne comme terre d’immigration pour les Juifs d’ex-URSS est tel qu’en 2002, l’Allemagne a été privilégiée à Israël.
Pourquoi pas Israël ?
Cette immigration massive des Juifs d’ex-URSS n’est pas passée inaperçue en Israël, qui en poursuivant ses propres intérêts (attirer le plus possible de Juifs d’ex-URSS), a commencé à cultiver médiatiquement le reproche suivant : « Est-ce qu’un Juif peut vivre en Allemagne, le pays de la Shoah, qui a pris des millions des vies juives ? ». Cette question était également reprise par les compatriotes russes des immigrés, qui gardaient en tête le vif traumatisme de l’après-guerre.
L’écho de ce reproche parmi les émigrés a été très varié. Alors que quelques-uns se sentaient touchés, voire déstabilisés, pour beaucoup la possibilité d’une immigration en Allemagne représentait un acte de repentance du gouvernement allemand vis-à-vis du peuple juif, et ils se voyaient comme la personnification même de cette repentance. Enfin, pour certains, comme Victor Bejlis, intellectuel et écrivain installé à Francfort depuis 1991, cette question n’avait aucun sens. « Une personne a le droit de choisir où il veut vivre, et de n’en rendre compte devant personne. Je ne voulais vivre ni aux États-Unis, ni en Israël, mais en Europe. À l’époque, l’Allemagne était le seul pays qui acceptait les émigrés d’ex-URSS. Les garçons allemands qui ont fait la guerre ont été envoyés sur le front contre leur gré et celui de leurs parents. De plus, les enfants de ces Allemands qui ont fait la guerre en Russie ne portent aucune responsabilité dans cette guerre. Le sentiment de responsabilité est artificiellement éduqué et cultivé en eux. Depuis longtemps, je suis habitué à séparer des individus (et des nations entières) de leurs États ».
Plus tard, notamment après le début de la seconde Intifada, les conditions de sécurité en Israël ont constitué un argument majeur en faveur du choix de l’Allemagne, raison principale pour laquelle au plus fort des violences en Israël (en 2002), l’Allemagne a été plus souvent choisie par les Juifs d’ex-URSS souhaitant émigrer.
L’intégration des immigrés
L’organisation bénévole et sociale juive ZWST (Zentralwohlfartstelle der Juden in Deutschland – L’organisation bénévole centrale des Juifs allemands), installée depuis 1955 à Francfort, a joué un rôle majeur dans l’aide à l’intégration des nouveaux arrivants. En plus de l’aide aux victimes de la Shoah, l’intégration de cette nouvelle population juive sur le plan culturel était l’une de leurs principales activités. Le ZWST organisait des événements socio-culturels, des séminaires sur l’intégration et la politique familiale et recrutait de nouveaux cadres pour son travail social parmi les nouveaux arrivés. Le ZWST finançait également des cours de langue allemande, de religion et de culture juives. « Le système des relations entre les gens m’a manqué, mais ce système a déjà disparu en Russie également. Il m’a manqué et il me manque toujours la liberté linguistique : même si on parle bien la langue, il y a toujours des nuances que l’on ne peut pas exprimer. Ce problème disparaît vite chez les jeunes », raconte Victor Bejlis.
Quant aux communautés religieuses elles-mêmes, étonnement, leur accueil n’était pas toujours très chaleureux et leur aide à l’intégration était minimale. Il y avait des cas où les communautés exigeaient la fréquentation obligatoire des cérémonies et des offices religieux dans les synagogues et l’apprentissage approfondi de Torah en échange de leurs consultations pratiques sur l’intégration.
En effet, les relations entre les communautés juives religieuses et les Juifs d’ex-URSS n’ont jamais été évidentes depuis 1990. Ce qui distingue l’immigration des Juifs d’ex-URSS en Allemagne d’autres groupes d’immigrants, c’est qu’à part le fait d’être très nombreuse, il y avait également beaucoup de diversité sociale et culturelle en son sein. Cette immigration embrassait des gens des différents niveaux sociaux et intellectuels mais aussi différents sentiments religieux. Cette immigration amenait avec elle d’une part des gens avec un fort sentiment religieux et une soif de vie spirituelle juive, et d’autre part des gens qui se sentaient russes et n’étaient juifs que nominalement. De plus, cette immigration comprenait beaucoup de non-Juifs, arrivés avec leurs conjoints, ou bien après des mariages opportunistes et arrangés pour partir à l’Ouest. Pour ces raisons, il y a eu un taux relativement faible d’intégration des synagogues et des communautés religieuses. Enfin, à cause de cette hétérogénéité au sein de la communauté des émigrés, ces institutions religieuses n’ont jamais pu adopter une attitude concrète vis-à-vis des Juifs d’ex-URSS.
Néanmoins, il est tout de même possible de brosser un profil général des immigrés juifs d’ex-URSS. Ceux-ci étaient pour une large part soit des techniciens, ingénieurs et scientifiques de haut niveau, soit des professeurs ou des intellectuels déjà actifs dans la vie culturelle soviétique. Si l’intégration des premiers a été relativement difficile, les seconds ont très vite trouvé leurs marques et ont contribué à créer une vie culturelle intense.
Les « temples » de cette nouvelle culture sont les associations culturelles russes qui organisent des soirées littéraires, musicales et théâtrales, sans même parler de l'abondance et de la diversité de la presse russophone en Allemagne. Véritables concurrentes des communautés religieuses sur le plan culturel, ces nouvelles associations très mixtes sur les plans culturel et religieux, connaissent une fréquentation beaucoup plus élevée que les synagogues. De même, alors que ces associations sont plutôt fréquentées par des générations plus âgées, les jeunes ont fondé les discothèques et les clubs russes dont l’idée est symbolisée par la fameuse russendisko et son « pape » Wladimir Kaminer.
Et maintenant : Juifs ? Russes ? Allemands ? Soviétiques ?
L’une des conséquences de cette immigration est un changement radical de la nature de la communauté juive d’Allemagne, formée à environ 80 % de personnes originaires d’un État d’ex-URSS. Le russe est ainsi devenu la lingua franca des Juifs d’Allemagne, ce qui n’est d’ailleurs pas sans créer quelques tensions avec les communautés antérieurement implantées. Ainsi, nombre de Juifs originaires d’ex-URSS se plaignent d’être vus comme un bloc et stigmatisés pour leur manque de religiosité par les Juifs présents avant 1990, eux-mêmes accusés de ne pas faire la différence entre la Lituanie, la Russie et l’Azerbaïdjan.
Dans ce contexte, quelle identité pour ces immigrés de fraiche date ? Juifs, russes, allemands, soviétiques… ou bien melting-pot en formation ? À ces questions, Victor Bejlis répond de la manière suivante : « Mon sens de l’identité nationale n’a pas changé. La seule chose est que je réponds différemment à la question sur l’appartenance nationale. À Moscou je disais sans réfléchir : juif ; en Allemagne, sans réfléchir, je réponds : russe ». Quant à l’attitude et à l’intégration, « les gens de ma génération ne peuvent pas s'approprier une autre culture, et je doute qu’ils le veulent. Il y a beaucoup de nuances sociales et sociologiques. Il y a certains émigrés qui préfèrent s’enfermer dans le « ghetto », et il y en a d’autres qui commencent à parler en allemand quand ils entendent du russe, mais on ne peut pas cacher l’accent… au pire, on peut passer pour un Polonais ».