L’Europe et les mouvements démocratiques : le cas de la Biélorussie

Par Mariliis Mets | 4 août 2011

Pour citer cet article : Mariliis Mets, “L’Europe et les mouvements démocratiques : le cas de la Biélorussie”, Nouvelle Europe [en ligne], Jeudi 4 août 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1136, consulté le 03 juin 2023

Le 10 mai 2011, Nouvelle Europe coopérait avec Alternatives européennes dans le cadre du Festival Transeuropa pour convier Bruno Drweski, historien et politologue, maître de conférence habilité à diriger des recherches à l'INALCO et Andrew Wilson, Senior Policy Fellow au Conseil européen des affaires étrangères pour discuter de la Biélorussie. C'est au Bureau d'Information du Parlement Européen en France que se déroulait le débat.   

La dernière vraie dictature en Europe qui dure

La Biélorussie de Loukachenko est la dernière vraie dictature au cœur de l'Europe. Ce régime qui semblait provisoire dure encore. Il y a encore un an, Loukachenko était considéré comme un dictateur qui avait réussi. Au pouvoir depuis 1994, il bénéficie depuis des années d'une base de soutien stable autour de 50%. Ce soutien et cette stabilité peuvent être expliqués par plusieurs facteurs.

Il s'agit d'un régime autoritaire et paternaliste qui s'occupe du « bon peuple ». Loukachenko est un fournisseur autoritaire de biens, d'un certain niveau de vie et d'une économie relativement performante (bien que largement dépendante des subventions russes). Une partie importante de la population estime qu'il vaut mieux choisir la Biélorussie avec lui que l'aventure vers l'inconnu.

Loukachenko se félicite également de la sécurité interne et de l'absence de conflits violents, situation appréciée par le peuple. Par conséquent, l'attentat du mois de mars dans le métro de Minsk reste difficile à comprendre. Il est habituellement peu probable que dans un pays où tout est contrôlé par le KGB un tel acte puisse être réalisé.

Un facteur important est aussi la faiblesse et la fragmentation de l'opposition. Les groupes pro-occidentaux et démocratiques ne bénéficient pas d'un soutien important dans l'ensemble du pays.

Enfin, au niveau international, Loukachenko a réussi à jouer un jeu de « checks and balances » entre la Russie et l'Europe ce qui lui a pourtant valu le mécontentement de Vladimir Poutine. Durant la crise économique, la Biélorussie a reçu une aide financière aussi bien de la Chine, de la Russie que de l'Europe, en évitant ainsi la pression russe sur ses secteurs stratégiques.

Les élections présidentielles : espoirs et déceptions

L'Union européenne avait réussi à amorcer un dialogue avec Loukachenko et espérait avancer dans la bonne direction. Par conséquent la communauté internationale plaçait beaucoup d'espoirs dans les élections présidentielles biélorusses du 19 décembre 2010. L'UE avait ainsi décidé de verser une aide de 3 milliards d'euros à la Biélorussie en échange d'élections démocratiques. Le Conseil de l'Europe avait également demandé des améliorations afin de d'obtenir des élections plus transparentes et justes. En théorie, la tâche était relativement facile car les standards proposés étaient très bas. C'est d'ailleurs ainsi que pour la première fois, plusieurs candidats de l'opposition ont eu accès à la télévision pour mener leur campagne.

Cependant, à l'issue des élections, Loukachenko remporta une victoire écrasante avec 79,65% des suffrages. Il a commencé son quatrième mandat après 16 ans au pouvoir. Très rapidement, des voix s'élèvent contre la tenue frauduleuse des élections. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a qualifié les élections d'« imparfaites » et l'opposition a dénoncé les fraudes. Des manifestations de masse contre les fraudes électorales se sont organisées dans les rues de Minsk. Rapidement, cela a pris une ampleur imprévue en réunissant jusqu'à 20 000 personnes. Loukachenko a dès lors décidé de réprimer violemment les manifestations : des violences contre les personnes et des arrestations arbitraires (639 au total) ont été menées par les forces de sécurité. L'OSCE, l'Union européenne et plusieurs pays occidentaux ont condamné la répression violente des manifestions en appelant à la libération des personnes arrêtées.

Une santé économique fragile

Pour la presse occidentale, la situation de la Biélorussie est avant tout un problème politique mais pour un citoyen moyen biélorusse le problème est économique. De fait, depuis quelques temps, la situation économique en Biélorussie se dégrade considérablement. Le déficit courant s'élève à 16% du PIB, ce qui en fait un des plus élevés au monde. En mai, la Biélorussie a été obligée de dévaluer le rouble de 36%. Selon la Banque centrale biélorusse, l'inflation pourrait atteindre 39% en 2011. La situation économique biélorusse s'aggrave en outre depuis quelques années en raison des prix plus élevés des ressources énergétiques et la baisse des revenus du raffinage. La Russie, approuvant de moins en moins les choix politiques de Loukachenko, diminue progressivement les subventions en mettant ainsi fin à sa situation économique confortable.

La stabilité économique était un des facteurs clés de la paix sociale. Jusqu'à présent Loukachenko avait en effet réussi à garantir une vie quotidienne stable. Cependant aujourd'hui, à la lumière de l'inflation et de la dévaluation du rouble, le peuple commence à s'inquiéter pour son avenir et la Biélorussie se retrouve dos au mur. L'enjeu central est donc de sauver le modèle social biélorusse : Minsk veut conserver son modèle social particulier, proche du celui de l'époque soviétique, et non vivre comme à Moscou ou à Varsovie.   

L'impasse

Avant les élections présidentielles Loukachenko semblait pouvoir aisément se maintenir à la tête du pays et on le croyait capable à continuer son système de « checks and balances ». Mais aujourd'hui, la situation semble avoir changé : la Biélorussie est à la croisée des chemins et les choix à faire vont être difficiles. Est-ce que le régime serait à bout de souffle ? Quelles sont les possibles voies à suivre ?

Au niveau politique, plusieurs théories ont été avancées pour expliquer le désarroi post-électoral. L'idée dominante est que Loukachenko a été surpris par l'ampleur des manifestations suite aux élections et qu'il a sous-estimé la réaction des pays occidentaux face aux répressions violentes. Normalement, le KGB contrôle l'opposition biélorusse à tout moment mais cette tâche devient difficile lorsque 20 000 personnes sont dans la rue. L'autre théorie avancée est celle des luttes internes au régime.

En tout cas on comprend toujours difficilement ce retour en arrière et par conséquent le nouvel isolement de la Biélorussie. Prenant en compte des élections présidentielles frauduleuses et la répression brutale des manifestations, l'Europe a suspendu son aide de 3 milliards d'euros, pourtant très attendue pour redonner du souffle à l'économie biélorusse. De plus, l'UE a adopté en janvier des sanctions contre 158 personnes proches du pouvoir, notamment des interdictions de visa dans l'UE et des gels d'avoirs.  Économiquement, Minsk s'est retrouvé obligé de demander une aide financière à Moscou. Cette aide de 3 milliards de dollars doit être versée début juin. Mais en échange, la Biélorussie doit privatiser d'importants pans de son économie et également ouvrir ses entreprises stratégiques à la concurrence russe.

Quelles sont les possibles voies à suivre pour Loukachenko aujourd'hui ? Sur quoi la Biélorussie peut essayer de jouer ? Il lui reste des atouts. La position de la Biélorussie demeure stratégique, même si l'énergie russe ne passe plus uniquement par son territoire. Le pays représente également un intérêt économique avec des entreprises stratégiques et ses chercheurs sont plutôt bien formés. De plus, la Biélorussie joue un rôle important pour l'industrie pétrochimique, spatiale et militaire russe. Minsk essaie d'utiliser ces leviers dans les négociations avec Moscou. Et finalement, c'est un marché de 10 millions de consommateurs, soit un réel potentiel pour les investisseurs étrangers.

Qu'est-ce que l'UE peut proposer à Minsk pour stabiliser son économie et sortir de l'impasse politique ? Nous devons soutenir les groupes qui sont favorables à l'UE. Il faut aider à changer le système. Maintenant que la dernière dictature au cœur de l'Europe ne semble plus tellement stable, l'UE a un rôle crucial à jouer. Il est nécessaire de dépasser nos propres hésitations pour établir une position claire et aller de l'avant.

 

Pour aller plus loin

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Source photo : Belarus-Minsk-Opposition Protests 2006.03.21-8.jpg, par EugeneZelenko, sur wikimedia commons