L'Europe de la recherche et les "nouveaux Erasmes"

Par Philippe Perchoc | 12 avril 2013

Pour citer cet article : Philippe Perchoc, “L'Europe de la recherche et les "nouveaux Erasmes"”, Nouvelle Europe [en ligne], Vendredi 12 avril 2013, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1672, consulté le 26 mars 2023

L'Union européenne veut se donner des objectifs ambitieux en terme de recherche. En effet, le plus grand marché du monde devrait potentiellement pouvoir produire la recherche la plus innovante. Pourtant, il semble que l'Europe peine à trouver ses "nouveaux Erasmes".

Si le Moyen-Age a été une période trop longtemps décriée et mal aimée, l'Europe y puise pourtant une grande partie de ses références et de ses cadres intellectuels comme le souligne Jacques Le Goff. Le programme Erasmus porte le nom d'un des grands humanistes de cette période pour faire référence à la mobilité qui existait entre les Universités européennes d'alors. Mais Erasme n'a pas seulement voyagé comme étudiant, il a surtout été un grand passeur des idées de son temps, d'un pays à l'autre.

La course d'obstacles de la mobilité

Dans de nombreux domaines, on constate aujourd'hui que la mobilité des Européens d'un pays à l'autre est insuffisante, soit parce qu'elle est empêchée par le manque de qualifications (notamment linguistiques), soit par le manque d'information sur les possibilités de travailler et de s'installer dans un autre Etat membre. Dans le cas de la recherche, cette question est encore plus pressante: comment justifier que les Européens mènent encore 27 politiques scientifiques différentes quand des grands projets comme le CERN montrent tout l'intérêt de faire profiter les meilleurs chercheurs des meilleures installations?

De nombreux problèmes pratiques se posent pour assurer cette mobilité des chercheurs à l'échelle de l'Europe. Tout d'abord, la question des compétences permettant la mobilité est primordiale. Les chercheurs doivent pouvoir développer leurs compétences linguistiques et si l'on pense que l'anglais est largement devenu la langue internationale de la recherche, il n'est pas certain que l'usage seul de cette langue permette un recrutement transnational. Les chercheurs sont presque toujours aussi des enseignants et ils doivent pouvoir donner un volume de cours important dans la langue du pays d'accueil. Par ailleurs, la reconnaissance des diplômes est un autre écueil important, même si le système Licence / Master / Doctorat mis en place dans le cadre du processus de Bologne vient faciliter les choses. Néanmoins, dans ce domaine aussi d'importants progrès restent à réaliser.

Au-delà de ces difficultés relatives au milieu particulier qu'est l'Université, les chercheurs font face aux difficultés que rencontrent tous les Européens qui veulent s'installer dans un autre Etat membre : prestations santé et cotisations retraites, prise en compte des cotisations chômage, difficultés administratives... Si l'on veut que la recherche européenne se dynamise, il faut pouvoir avancer sur ces sujets d'harmonisation dans le domaine social. Un certain nombre d'universités l'ont bien compris et mettent des cellules d'accueil à la disposition des chercheurs internationaux.

Enfin, un dernier problème, et non des moindres, reste le protectionnisme national à peine déguisé qui existe sur de nombreux marchés européens de l'enseignement supérieur et de la recherche, comme le soulignent bien les études de l'Observatoire des carrières académiques à l'Institut Européen de Florence. La plupart du temps, les offres d'emplois dans ce domaine ne sont pas annoncées avec une publicité suffisante à l'échelle européenne.

L'Europe en faveur de la mobilité

L'Union européenne est devenue l'un des grands acteurs de la recherche publique en Europe à travers ses "programmes cadres de recherche et de développement" (PCRD); ainsi l'UE a investi plus de 53 milliards d'euros entre 2007 et 2013 dans le financement de la recherche, dont 7,3 milliards pour la recherche en sciences sociales et humaines. De ce fait, elle dispose de leviers importants pour faciliter la mobilité des chercheurs.

Dans le cadre des appels d'offres PCRD, la Commission européenne exige de plusieurs laboratoires de plusieurs Etats qu'ils collaborent entre eux, mais aussi de plus en plus qu'ils associent de jeunes chercheurs en doctorat à leurs travaux par des contrats doctoraux. Par ailleurs, les instances européennes obligsent les universitaires récipiendaires à publier leurs offres d'emplois de manière plus large, notamment sur des plateformes européennes comme Euraxess, et à s'engager sur une Charte des chercheurs et un Code de bonne conduite.

Enfin, un programme dédié au renforcement des capacités des chercheurs - Marie Curie - investit environ 5 milliards d'euros dans des actions de formation et de mobilité des jeunes chercheurs et des chercheurs confirmés. Il permet à ces chercheurs d'aller travailler pendant deux ans dans une autre université européenne ou de passer deux ans dans une université extra-européenne avant que l'Union ne finance leur retour dans leur université d'origine pour un an. Par ailleurs, les bourses du Conseil Européen de la Recherche permettent de parier jusqu'à un million d'euros sur le travail d'un chercheur très prometteur et de son équipe sur des projets aux frontières de la connaissance.

Ces actions permettent de penser que l'Europe tente de briser les barrières solides qui se sont constituées depuis la fin du XIXe siècle entre les espaces nationaux de la recherche. Pourtant, si l'Europe dit vouloir investir 3% de son PIB dans la recherche et le développement, on constate que les disparités sont encore criantes entre les Etats et que le budget européen de la recherche est bien loin de ces objectifs.

Il reste encore beaucoup à faire pour que les Erasmus bénéficiaires du programme célèbre deviennent de nouveaux Erasmes et que l'Europe de la connaissance ait les moyens de ses ambitions.

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Source photo: Nasa, Flickr