L'aide au développement de l'UE en Afrique

Par Sonia Fodil-Cherif | 24 juillet 2015

Pour citer cet article : Sonia Fodil-Cherif, “L'aide au développement de l'UE en Afrique”, Nouvelle Europe [en ligne], Vendredi 24 juillet 2015, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1922, consulté le 02 avril 2023

Chaque année, l’Union européenne consacre une partie considérable de son budget à l’aide au développement. Celle-ci apparaît comme un pilier de sa politique extérieure. Les premiers destinataires de telles actions sont les pays d’Afrique. Quelles en sont les modalités ? Ces politiques sont-elles efficaces ?

Du 6 au 8 septembre 2000 s’est tenu le Sommet du Millénaire à New York au siège des Nations unies (ONU). Les chefs d’Etat de 189 Etats membres adoptaient la Déclaration du Millénaire. Celle-ci formule huit grands axes correspondant aux huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Ce plan ambitieux impliquant la coopération entre l’ONU, la société civile et les différents gouvernements et organismes fixait des objectifs à atteindre d’ici 2015 afin de réduire la pauvreté et la faim dans le monde, promouvoir l’égalité des sexes ou encore préserver l’environnement. 

L’engagement européen dans la réalisation des objectifs du Millénaire

La réalisation de ces objectifs est soutenue par l’aide publique au développement (APD).  L’Insee définit cette dernière comme étant « l’ensemble des dons et prêts à conditions très favorables accordés par des organismes publics aux pays et aux territoires figurant sur la liste des bénéficiaires du "Comité d’aide au développement" (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économique  (OCDE) ».

L’engagement de l’UE au sein de ces politiques de développement est prépondérant : elle est de fait le premier bailleur de fonds. A elle seule, elle représente 19% de l’APD. Pour exemple, en 2013, l’UE a consacré 14,86 milliards d’euros à l’aide au développement.

Pour gérer de telles politiques, elle bénéficie de l’appui d’un certain nombre d’instruments institutionnels et financiers.

Deux instruments financiers ont ainsi été créés à cet effet.

C’est notamment le cas de l’ICD (« Instrument de Financement de la Coopération au Développement »). Il se base sur un programme géographique (où l’aide est distribuée en fonction de la zone géographique d’appartenance, cinq zones géographiques sont ainsi couvertes dont l'Afrique Sud sur le continent africain) et thématique et apporte une aide dans un domaine d’activité spécifique. Pour exemple, on peut citer le programme thématique se rapportant à l’environnement et la gestion durable des ressources naturelles ou encore celui de la coopération dans le domaine des migrations et de l’asile.

Un autre instrument essentiel est le Fonds européen de développement (FED). C'est l’instrument de financement européen destiné à appuyer les politiques d’aide au développement des Etats dits « ACP » (Etats d’Afrique, Caraïbes et Pacifique). Il est financé exclusivement par les Etats membres de l'Union européenne mais ne fait pas partie du budget de l'Union européenne en général. Précisons ici que les Etats dits ACP recouvrent l’essentiel du continent africain, à l’exception des pays méditerranéens du Nord de l’Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Lybie). Le FED remplace le programme géographique de l’ICD dans cette zone mais peut fonctionner parallèlement à son programme thématique. Depuis 1964, il est conclu pour des périodes s’étalant sur plusieurs années. L’Accord de Cotonou conclu en 2000 puis révisé en 2008 et 2014 régit l’actuel financement par le FED des Etats ACP.

L’aide au développement de l’UE à l’Afrique dans le cadre de l’Accord de Cotonou

L’aide au développement apportée à l’Afrique par la communauté internationale a fortement augmenté au cours des dernières années. En 2011, elle a reçu 42,7 milliards d’euros d’APD (soit trois fois plus que dix ans auparavant). L’UE elle-même consacre une part importante de son aide publique à ce continent. De fait, chaque année, 40% de l’aide publique au développement générée par la Commission européenne est destinée à l’Afrique.

L’Accord de Cotonou, signé en 2000 au Bénin, a été conclu dans une perspective de réalisation des OMD. C’est l’accord qui régit l’aide au développement accordée par l’UE aux Etats ACP. De façon cohérente avec les OMD, cet accord a pour objectif de réduire et à terme d’éradiquer la pauvreté tout en contribuant à la paix et à la sécurité de la région. L’accord promeut également la stabilité politique et démocratique des pays visés.

Afin d’atteindre ces objectifs, en plus du FED qui en constitue le principal instrument de financement, l’accord de Cotonou bénéficie de l’appui d’un certain nombre d’institutions communes. Le Conseil des ministres, composé de membres du Conseil de l’UE et de la Commission ainsi que d’un membre du gouvernement de chaque pays ACP, se réunit une fois par an et a pour but de conduire le dialogue politique et veiller à la bonne mise en œuvre de l’accord. Il s’appuie notamment sur le Comité des ambassadeurs. Enfin, l’Assemblée parlementaire paritaire est un organe consultatif qui se compose des membres du Parlement européen et des représentants des Etats ACP, siégeant en nombre égal.

L'Accord de Cotonou : une tentative d’amélioration de l’aide

Avant l’Accord de Cotonou, un certain nombre d’accords avait été signé entre les États ACP et l’UE à l’instar des conventions de Lomé. Signées en 1975, elles fixaient les grands principes et objectifs de la coopération de l’UE (alors Communauté économique européenne ou CEE) avec les ACP. Toutefois, un certain nombre de lacunes ont conduit les Etats concernés à renouveler l’angle d’attaque. En particulier, le bilan de l’aide apportée est apparu mitigé : si la situation économique et sociale s’était améliorée dans certains pays, celle-ci revêtait un caractère limité.

L’Accord de Cotonou présente deux dimensions essentielles et complémentaires : un volet économique crucial et une dimension politique renforcée.

D’un point de vue économique, suivant les prescriptions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Accord de Cotonou cherche à intégrer les Etats ACP dans l’économie mondiale. Cela implique une libéralisation des échanges soutenue par des accords de partenariat économique (APE). Il s’agit d’accords de libre-échange mis en place de façon complémentaire à l’accord politique afin de facilité l’intégration économique de l’Afrique dans le marché européen. Par exemple, de tels accords ont été conclus avec l’Afrique orientale, l’Afrique australe et l’Afrique de l’Ouest en 2014 (le dernier étant entré en vigueur en 2015).

La dimension politique a été soigneusement consolidée afin de rendre l’aide plus efficace. Le dialogue politique est renforcé et une plus grande place est accordée aux initiatives régionales dans une perspective de maintien de la paix et de prévention et de résolution des conflits. Ces éléments améliorent la flexibilité des partenariats et leur permet de mieux correspondre à la réalité des évènements.

Contrôler l’efficacité de l’aide

Le soutien financier apporté à l’Afrique a souvent été dénoncé du fait du « gaspillage »  que cela peut représenter en raison de la corruption dans certains pays. De fait, en 2009, les dons simples représentaient 20,5 milliards d’euros, soit près de la moitié de l’ensemble de l’APD. Si, par définition, cette somme n’est pas censée être remboursée de façon directe, une telle proportion illustre la nécessité pour l’aide européenne d’être apportée de façon efficiente afin d’assurer un développement réellement viable et durable des pays concernés. Ces considérations ont conduit les différents gouvernements à favoriser une approche de l’aide basée sur une évaluation de l’efficacité et des résultats.

Le chapitre 5 du texte prévoit un mécanisme de contrôle et d’évaluation de la part des ACP eux même et de la Communauté européenne par le biais d’un comité ACP-CE. En particulier, il est prévu d’effectuer de façon régulière et indépendante un « suivi et une appréciation des opérations et des activités du Fonds, en comparant les résultats aux objectifs ». De même, le comité a pour mission de « concevoir et exécuter des politiques et actions futures » en se basant sur les enseignements tirés.

Aussi, l’Accord prévoit qu’en cas de non respect des droits de l’Homme ou de violation des principes démocratiques ou de l’Etat de droit, des sanctions peuvent êtres appliquées. Une suspension de l’aide peut être envisagée si aucune solution acceptable n’est trouvée suite à une procédure préliminaire de consultation. De même, les textes promeuvent une « gestion transparente et responsable des affaires publiques », condamnant la corruption qui peut également conduire à des sanctions.

Dans sa communication au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen du 12 avril 2005, la Commission européenne soulignait l’importance d’une amélioration effective de la cohérence des politiques d’aide. Il y est fait état de la nécessité de considérer comment les politiques qui ne concernent pas le développement peuvent permettre d’atteindre les OMD.

Dans cette perspective, onze domaines politiques prioritaires autres que l’aide ont été identifiés. La Commission y a défini un certain nombre de dispositions destinées à contribuer à la réalisation des OMD en instaurant une certaine synergie avec les politiques d’aide déjà mises en place. Ces domaines recouvrent notamment l’environnement, l’agriculture, la pêche, les migrations ou encore la recherche et l’innovation.

Une aide désintéressée ?

Le continent africain regroupe un grand nombre d’anciennes colonies européennes et le souhait d’accompagner l’émancipation des jeunes États s’est manifesté très vite lors du processus de décolonisation. Une telle volonté de la part de la Communauté européenne a été inscrite dans son traité fondateur signé à Rome en 1957 procurant ainsi un fondement juridique important aux actions de l’UE en Afrique.  

On peut notamment citer l’article 177 de la version consolidée du traité qui fait état de la politique de « coopération au développement » de la CEE, cherchant à favoriser « le développement économique et social durable des pays en développement et plus particulièrement des plus défavorisés d’entre eux » ; « l’insertion harmonieuse et progressive des pays en développement dans l’économie mondiale » ou encore « la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement ». Il est également fait état de la « consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit, (…) du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Enfin, l’article mentionne le respect de la Communauté et des Etats membres des « engagements et (…) objectifs qu’ils ont agréés dans le cadre des Nations Unies et des autres organisations internationales compétentes ».

Le fondement politique des stratégies européennes de développement est également crucial. L’Europe a beaucoup à gagner en apportant une aide efficace et honnête dans une perspective de coopération avec le continent africain.

D’un point de vue économique et commercial d’abord, un enrichissement des populations ouvrirait de vastes marchés aux entreprises européennes, particulièrement dans un contexte d’accroissement démographique considérable. Celles-ci profiteraient alors fortement des différents accords de libre-échange conclus en exportant leurs produits à des consommateurs plus riches.

Par ailleurs, contribuer à la stabilité politique en Afrique contribue à une stabilité globale. Enfin, en permettant d’offrir des conditions de vie plus favorables aux pays concernés, l’aide au développement apparaît comme un instrument de contrôle des migrations illégales de l’Afrique vers l’Europe. Cela permettrait d’éviter à l’avenir des tragédies à l’instar de celle de Lampedusa en 2013 ou du récent naufrage de centaines de migrants au large de Reggio Calabria, dans le sud de l’Italie.

L’aide au développement de l’UE à destination de l’Afrique est donc très complexe et présente encore un certain nombre de lacunes. Toutefois, les différentes améliorations proposées progressivement tendent à la rendre plus efficace. En définitive, on peut penser que les objectifs seront réellement atteints lorsque le partenariat entre l’UE et les Etats ACP ne sera plus évoqué dans le cadre des politiques d’aide au développement mais bien d’une relation symétrique de coopération politique, économique et sociale. Là semble demeurer de fait la finalité de ces politiques.




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Crédit image : Centre ville de Nairobi, Brian Snelson, 2008 sur flickr