L'affaire des Pandurs : rien de nouveau dans le paysage des campagnes électorales tchèques

Par Filip Kostelka | 15 avril 2010

Pour citer cet article : Filip Kostelka, “L'affaire des Pandurs : rien de nouveau dans le paysage des campagnes électorales tchèques”, Nouvelle Europe [en ligne], Jeudi 15 avril 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/849, consulté le 03 juin 2023

À quatre de mois des élections législatives, l'opinion publique tchèque a été ébranlée par une affaire de corruption d'ampleur astronomique qui met en suspicion les deux plus grands partis politiques nationaux : le parti démocratique civique (ODS) à droite de l'échiquier politique et le parti social-démocrate (CSSD), à gauche.

Les scandales politiques : un attribut habituel des campagnes électorales post-communistes  

Si les affaires compromettant des hommes politiques ne sont pas absentes des campagnes électorales des pays de l'UE-15, leur régularité et leur intensité lors des périodes électorales dans les nouveaux pays membres post-communistes est sans pareil. En République tchèque, des affaires d'importance substantielle sont ainsi apparues avant chacun des six scrutins législatifs pour la Chambre des députés depuis 1990 (à l'exception de celui de 2002). À titre d'exemple, la campagne électorale précédant les élections législatives de 2006 a atteint son point culminant à quatre jours du scrutin lors de la publication d'un rapport compromettant les leaders du parti social-démocrate, au pouvoir à l'époque. En 2009, d'abord, deux jours avant les élections européennes du 7 juin, des photos nues du leader de l'ODS Miroslav Topolanek, prises dans les jardins de la villa de Silvio Berlusconi, ont fait le tour du monde. Ensuite, avant les élections législatives anticipées - prévues pour le mois d'octobre mais finalement annulées - le public a pris connaissance de rencontres suspectes entre des représentants du CSSD et de l'ODS avec des lobbyistes et de puissants entrepreneurs lors de leur congé en Italie...

À la lumière de ces expériences, il est peu étonnant que la campagne actuelle pour les élections législatives tant attendues à la chambre basse du Parlement tchèque (le pays étant dirigé par un gouvernement de spécialistes depuis dix mois), qui se dérouleront les 27 et 28 mai 2010, soit utilisée pour sortir des cadavres des placards de rivaux politiques.

L'affaire des blindés Pandur

Tout a commencé sous le gouvernement dominé par le CSSD (2002-2006) qui, en 2003, a décidé de renouveler le parc des blindés de l'armée de terre et, en 2005, a fait un appel d'offres dont est sorti vainqueur, un an plus tard, le fabricant autrichien Steyr. Le gouvernement tchèque lui a commandé 199 véhicules blindés pour le prix de 20,8 milliards de couronnes tchèques (environ 800 millions euros). Néanmoins, juste après les élections de 2006, le nouveau gouvernement contrôlé par l'ODS (2006-2009), a décidé dans un premier temps d'annuler le contrat et par la suite de le renégocier. De façon étonnante, la renégociation n'a pas été confiée à la Ministre de la Défense de l'époque (qui venait du parti chrétien-démocrate, l'un des deux partenaires de coalition de l'ODS), mais à son adjoint, affilié à  l'ODS (qui est ultérieurement devenu lui-même Ministre de la Défense et Vice-premier ministre). Résultat : dans le nouveau contrat du printemps 2009, le nombre des Pandurs commandés a été ramené à 107 unités, tandis que le prix a été réduit à un montant de 14,4 milliards de couronnes seulement (environ 560 millions d'euros), ce qui veut dire qu'il a été (discrètement) augmenté de 20% par véhicule.     

L'achat des Pandurs n'est devenu une vraie affaire qu'à la mi-février 2010. À ce moment, le quotidien de référence MF DNES publie un reportage où l'un des ses journaliste a enregistré, à l'aide d'une caméra cachée, les anciens managers de Steyr qui avaient été chargés du projet en question. Ces derniers ont décrit comment ils avaient recruté des lobbyistes tchèques dès 2002, soit un an avant que le gouvernement social-démocrate n'estime nécessaire l'achat de nouveaux véhicules blindés (!). Ils ont avoué que de 2% à 3% du prix du contrat de 2006 (ce qui équivaut à un montant de 16 à 24 millions d'euros) étaient réservés à chacun des deux grands partis politiques (le CSSD et l'ODS) et que l'un des intermédiaires clés dans le contrat était l'entreprise tchèque PAMCO. En effet, la loi tchèque 38/1994 exige que l'achat de matériel militaire à l'étranger se fasse par l'intermédiaire des entreprises tchèques. Il n'est pas sans intérêt de noter que le propriétaire de PAMCO a survécu, en 2008, à une tentative de meurtre, mais seulement au prix d'un handicap qui lui permet à peine de reconnaître sa famille et, qui de toute manière, l'empêche de fournir le moindre témoignage. 

Les médias ont, par ailleurs, apporté d'autres précisions à l'affaire. Il a été révélé que le Portugal a, en 2006, effectué l'achat de 260 Pandurs pour un prix de 10,7 milliards de couronnes tchèques (412 millions d'euros). Cela veut dire que les Tchèques ont payé chaque véhicule trois fois plus cher que les Portugais. Les responsables du ministère de la Défense tchèque ont essayé d'expliquer cette différence par l'inflation, la réduction liée au nombre de Pandurs achetés, la non-inclusion de la TVA (dans le cas Portugais) et des différences dans l'équipement des véhicules. Cependant, ces explications paraissent peu crédibles et sont mises en cause par des experts du marché de l'armement. Par exemple, l'équipement des Pandurs tchèques est, en réalité, insuffisant. Afin de pouvoir utiliser ces véhicules dans le combat, l'armée doit augmenter le blindage et ajouter un brouilleur contre le déclenchement à distance de charges explosives. De plus, même ainsi, l'utilité des Pandurs dans la mission militaire tchèque la plus importante, à savoir l'Afghanistan, sera limitée car ils trop lourds pour le terrain montagneux (et les ponts provisoires qui y sont construits).

Pour conséquence de ces révélations, une enquête policière a été ouverte des deux côtés de la frontière tchéco-autrichienne...

Les répercussions de l'affaire

À dire vrai, l'affaire des Pandurs a difficilement pu surprendre les électeurs s'apprêtant à voter aux élections du mois de mai. En fait, pratiquement tous les grands appels d'offre militaires tchèques de l'après-1989, tels que la modernisation des chars T-72 (contrat conclu en 1995), les travaux de rénovation des aéroports militaires (commandés en 1997-98) ou la location des avions de chasse Grippen (définitivement conclue en 2004) ont été accompagnés d'(au moins) une (forte) suspicion de corruption. Ce qui est intéressant dans l'affaire des Pandurs est que sa révélation coïncide avec la campagne électorale pour les élections législatives. Dans le passé, des suspicions (ou des accusations concrètes) liées aux appels d'offre militaires sont d'habitude ressorties à des moments plus opportuns pour les acteurs politiques. Ce « timing » dans le cas des Pandurs peut-il être dû au hasard ? On ne peut pas l'exclure. Cela dit, ceux qui en bénéficient sont facilement identifiables : les autres éléments de l'offre électorale (que l'ODS et le CSSD), notamment extra-parlementaires.

Si l'affaire aide, dans une certaine mesure, les autres partis parlementaires qui, sans exception, affichent la lutte contre la corruption comme une priorité - le KSCM (le parti communiste non-réformé), le KDU-CSL (chrétiens-démocrates) et les Verts (centre-droit en termes économiques) -, les plus grands bénéficiaires de l'affaire seront, très probablement, les nouveaux venus sur le marché électoral. Leur nouveauté (réelle ou apparente) donne davantage une impression d'intégrité par rapport aux partis politiques établis de longue date. Il s'agit notamment de deux formations de droite, le TOP 09 (dirigé, au moins formellement, par le très populaire aristocrate, et ancien Ministre des Affaires étrangères pour les Verts, Karel Schwarzenberg) et le VV pragois (mené par le journaliste d'investigation et publiciste Radek John). À en croire les derniers sondages, les deux partis devraient rejoindre la Chambre des députés à l'issue des prochaines élections. Sans que cela ne prouve la moindre intention de manipulation, il est sûr et certain qu'un renforcement de ces nouveaux partis, effet secondaire probable de l'affaire des Pandurs, ne va pas à l'encontre de la ligne éditoriale de MF DNES. Ce journal de droite, auparavant proche de l'ODS, se montre très favorable au TOP 09 depuis sa fondation en juin 2009 (alimentée notamment par des transfuges du KDU-CSL). En ce qui concerne le VV, il est intéressant que le journaliste d'investigation qui a réalisé le reportage pour MF DNES ait été, pendant plus de dix ans, un collaborateur de Radek John dans une émission d'investigation sur la station de télévision privée NOVA...

Début avril, les principaux médias n'ont pas publié, depuis un mois, un seul article sur l'affaire et, tenant compte de la crise économique et du déficit record du budget tchèque, ils se focalisent sur les programmes économiques des partis politiques. Ce silence contraste avec la médiatisation sensationnelle de l'affaire des Pandurs entre mi-février et début mars. S'agit-il d'un calme avant la tempête (facile à déclencher au regard des premiers résultats de l'enquête policière) ? Ou, ayant dominé la politique depuis 1992 et bénéficiant de puissants appuis à tous les échelons sociétaux, l'ODS et le CSSD ont-ils réussi à faire taire les médias ? L'avenir le dira. Mais, quoi qu'il en soit, étant donné, d'un côté, la montée de nouveaux partis de droite et, de l'autre, des divisions internes au sein de l'ODS ainsi que l'existence d'autres affaires dans lesquelles ce parti est impliqué, telles que la corruption dans les mairies de Prague et de Brno (deuxième ville de la République tchèque) ou des propos homophobes et antisémites (et la démission en résultant) de son leader Miroslav Topolanek, une déstabilisation du système partisan tchèque et, en particulier, une recomposition de sa partie droite, semblent imminentes. 

 

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Source photo : Pandur2 1457, par Konflikty.pl, sur wikimedia commons