Grèce – Russie : état des lieux des relations dans un contexte international tendu

Par Marie Geredakis et Antoine Lanthony | 18 février 2015

Pour citer cet article : Marie Geredakis et Antoine Lanthony, “Grèce – Russie : état des lieux des relations dans un contexte international tendu”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 18 février 2015, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1869, consulté le 02 juin 2023

Les relations gréco-russes : anciennes et consolidées par la fin de l’URSS

Aujourd’hui, la Grèce est au centre des préoccupations pour un grand nombre de raisons, dont plusieurs s’entrecoupent et dont l’une d’elles est son positionnement en Europe, en Eurasie, en Méditerranée. De par l’actualité, la relation entre Grèce et Russie fait couler beaucoup d’encre et mérite un état des lieux au moment où Alexis Tsipras a proposé que la Grèce et Chypre deviennent « un pont de paix et de coopération entre l’UE et la Russie ».

La Russie : un des trois mentors de la Grèce

Les relations entre Grèce et Russie sont antérieures à la constitution de l’Etat grec moderne. L’Empire russe a été, avec le Royaume-Uni et le Royaume de France, l’un des trois soutiens clés à la victoire de la Grèce lors de la guerre d’indépendance (1821-1832) contre l’Empire ottoman. Les relations diplomatiques entre les deux Etats ont été établies dès 1828, soit deux ans avant le protocole de Londres reconnaissant formellement la Grèce internationalement.

Un large sentiment en faveur de la Russie a animé la population grecque au cours du dix-neuvième siècle, tandis que ce sentiment fluctuait à la tête de l’Etat au gré des souverains en place, celui-ci étant toujours très dépendant des trois puissances étrangères ayant permis son émergence et luttant pour leur influence. Ainsi, afin de prévenir une trop grande proximité entre Grèce et Russie face à l’Empire ottoman, la France et le Royaume-Uni envahirent une partie de la Grèce afin de l’empêcher de combattre aux côtés de la Russie lors de la guerre de Crimée (1853-1856). Néanmoins, des milliers de Grecs combattirent comme volontaires aux côtés des Russes. Cette dynamique a amené la Russie à se tourner davantage vers la Serbie et la Bulgarie et a laissé ainsi le champ libre au Royaume-Uni pour qui la Grèce est devenue un objectif clé  au tournant du vingtième siècle, pour des raisons tant financières que stratégiques. La France était quant à elle déjà en retrait.

A l’aube des deux premières guerres balkaniques, la Russie comme le Royaume-Uni voyaient d’un bon œil la coalition balkanique (Grèce – Bulgarie – Serbie) à l’œuvre face à l’Empire ottoman lors de la première guerre balkanique (1912-1913). La seconde guerre balkanique (été 1913) a quant à elle vu la Bulgarie affronter ses anciens alliés, mettant en opposition Russie et Royaume-Uni.

1914 – 1974 : 60 ans de relations froides

Lors de la Première Guerre mondiale, une entrée tardive dans le conflit aux côtés des Alliés et le partage qui a suivi ont encore renforcé la relation Grèce – Royaume-Uni au détriment de la relation Grèce – Russie (les relations diplomatiques ont été rompues en octobre 1917). En 1919, la Grèce envoya 20 000 hommes combattre les Bolchéviques, en Crimée notamment.

En parallèle de cette histoire étatique, les migrations ont également amené Grecs et Russes à cohabiter. La chute de Constantinople au quinzième siècle, les guerres, le commerce ont amené des centaines de milliers de Grecs à s’implanter sur tout le pourtour nord de la mer Noire. Environ 10% d’entre eux ont émigré en Grèce entre 1919 et 1924, date de l’établissement de relations diplomatiques avec l’URSS. À la fin des années 1930 et durant les années 1940, un bon nombre de Grecs d’URSS subirent la déportation.

Dans le même temps, l’occupation de la Grèce par l’Allemagne nazie et ses alliés, l’Italie et la Bulgarie, ruinèrent le pays  et entrainèrent la mort de 7% de sa population. La Grèce a été le lieu de l’un des plus importants mouvements de résistance au nazisme, articulé autour d’un mouvement communiste puissant. Ces éléments expliquent la force du traumatisme de l’occupation nazie (des réparations sont toujours évoquées en diverses occasions) et l’enracinement des sentiments antifascistes dans une large part de la population.

Malgré ce mouvement et un territoire largement contrôlé par les communistes grecs à la libération, Staline avait déjà négocié avec Churchill, dans le cadre des accords de Moscou confirmés par les accords de Yalta, les zones d’influences des Balkans orientaux : Grèce pour le Royaume-Uni ; Bulgarie et Roumanie pour l’URSS. La politique soviétique s’est donc détachée de la Grèce par rapport à la politique de l’Empire russe d’avant 1917. Staline, faute de moyens et par respect des accords de Yalta, alla jusqu’à demander aux communistes grecs de se modérer lors de la guerre civile grecque (1946-1949) et leur montra un soutien distant via la Yougoslavie et la Bulgarie. La seule concession de Staline fut l’accueil d’un certain nombre de réfugiés communistes grecs en URSS, alors que dans le même temps un nombre important de Grecs d’URSS était déporté en Asie centrale.

La Grèce est donc devenue, notamment via son adhésion à l’OTAN en même temps que la Turquie en 1951, un allié des Etats-Unis jusqu’en 1974, au moment de la chute du régime des colonels arrivés au pouvoir par un coup d’Etat le 21 avril 1967.

1974 – 2014 : non-alignement virtuel sur l’OTAN et retour à des relations intenses avec la Russie

C’est la crise gréco-turque à propos de Chypre en 1974 qui précipita la chute du régime des colonels et mena à une sortie du commandement intégré de l’OTAN. La Grèce adopta alors, notamment sous la direction du mouvement socialiste panhellénique, PASOK, une politique critique de « l’ouest ». Celle-ci s’adoucit dans les années 1980-1981 avec la réintégration du commandement intégré de l’OTAN et l’entrée dans la CEE.

Avec la chute de l’URSS,  les relations avec la Russie trouvèrent de nouvelles voies. Tout d’abord, des Grecs de Moscou, des régions de Stavropol et Krasnodar, de Crimée, de Marioupol, d’Odessa (ces Grecs d’Ukraine étant en général grécophones et/ou russophones), mais également des Russes, émigrèrent en Grèce. Parallèlement, les Russes sont devenus progressivement parmi les principaux touristes étrangers en Grèce. Les affinités historiques, religieuses, culturelles et la proximité géographique ont joué et jouent encore un rôle dans ce rapprochement.

Les guerres d’ex-Yougoslavie contribuèrent également au rapprochement gréco-russe. En effet, tant les Etats que les populations de Grèce et de Russie soutinrent massivement les positions serbes et s’opposèrent au bombardement de la Yougoslavie par l’OTAN en 1999, auquel la Grèce a refusé de participer.

Depuis la fin de l’URSS, dans un contexte d’élargissement de l’UE et de l’OTAN, les relations Grèce – Russie se sont donc consolidées, tant d’un point de vue humain (migrations, tourisme), que stratégique (ventes d’armes russes à la Grèce, positions communes sur l’ex-Yougoslavie) ou encore économique (tourisme bien sûr, mais aussi énergie ou exportations grecques de fruits et légumes).

 

Aller plus loin

A lire 

  • Bloudanis, Nicolas, Histoire de la Grèce moderne 1828 – 2012, L’Harmattan, 2013

Source photo: Edward Dodwell, Views in Greece, 1821 (Wikimedia)