
Lors de leur transition politique dans les années 1990, les trois pays baltes souhaitent adhérer aux institutions occidentales et s’éloigner de l’ancien grand frère russe. Pour cela, ils développent plusieurs stratégies afin de se revendiquer comme une région européenne et occidentale. Toutefois, leurs disparités demeurent tout comme les influences russes et scandinaves sur leur territoire. L’étude de ce cas pratique indique l’intérêt des anciens états soviétiques à se revendiquer comme européens et ainsi, à refuser de se penser comme un espace des confins. Le régionalisme balte existe-t-il ? Est-ce une construction extérieure pour définir ces Etats ? Ou un moyen des baltes pour se scinder de la Russie et affirmer leur spécificité territoriale ?
Une transition régionale et européenne
La notion de transition démocratique apparaît dans l'historiographie mondiale à partir des années 1970. Issue de recherches pluridisciplinaires en politologie, en histoire et en sociologie, elle représente un intervalle politique entre deux régimes. Elle est utilisée afin d'expliquer les changements de régimes qui s'opèrent dans le monde au XXème siècle autour de trois phases majeures : 1918, 1945 et 1989. Cette notion est régulièrement employée afin d'analyser le passage d'un régime autoritaire, en l'occurrence communiste, à un régime démocratique, libéral et capitaliste. La notion est sujette aux critiques dans l'historiographie. Elle symboliserait le passage d'un régime autoritaire à un régime démocratique et représenterait ainsi une évolution politique. En effet, elle serait le produit d'une forme de pensée occidentale, qui tendrait à inscrire la démocratie comme le régime politique auquel toutes les sociétés devraient aspirer. La démocratie, nouveau modèle érigé, symboliserait l'alternative principale d'un changement politique. Toute transition se dirigerait vers une occidentalisation, une libéralisation, une mondialisation et une européanisation de la société. Elle dispose d'une définition globale, bien que son universalité soit réfutée par les auteurs. Les particularités et les singularités locales de la transition démocratique dans les différents pays d'Europe orientale sont sous-estimées. De surcroît, l'application de ce terme n'est pas unanimement partagée. Certains auteurs préfèrent employer le mot de transformation politique à l'instar du sociologue tchèque Jan Sládek. Selon lui, la transition implique le passage d'un régime autoritaire, communiste, à un nouveau régime antagoniste, en cela qu'il serait libéral, démocratique et capitaliste.
Lorsque les pays Baltes intègrent l’OTAN et l’UE au printemps 2004, cela fait suite à une politique proactive de transition politique et économique menée depuis 1991 pour se rapprocher de l’Occident. Les trois Etats partagent des caractéristiques géographiques similaires. En effet, ils sont peu peuplés et sont relativement petits avec un relief faible en comparaison des pays avoisinants (Russie, Biélorussie et Pologne.) L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se trouvent au centre de plusieurs aires géoculturelles à l’instar des aires russes, allemandes et scandinaves. En outre, ils ont une maitrise de la mer Baltique qui leur apporte une ouverture économique et politique.
Ces différents aspects confèrent aux Baltes des contraintes géostratégiques importantes. Ils se situent au centre des affrontements entre la puissance ex-soviétique russe et l’Occident représentée par l’OTAN et dans une moindre mesure la Communauté européenne. La situation géostratégique des Baltes est influencée par la Russie. L’expansionnisme russe sur la Baltique et dans la région est constant depuis le XVIIe siècle. La maitrise de la Baltique donnait un accès direct à la Russie à la mer du Nord, et ainsi à cette zone commerciale. Par conséquent, cette politique russe a induit un contrôle également des pays Baltes, et ils ont été transformés en zone tampon entre le monde russophone et l’Occident. Au temps de l’Union soviétique, l’opposition entre les deux blocs américains et russes a inscrit les pays baltes dans cette position de « pays tampons » : ils se sont révélés essentiels à sa sécurité et furent qualifiés de « cordon sanitaire » par le pouvoir soviétique face à l’Occident. Ainsi, l’adhésion des Baltes aux institutions et aux structures occidentales a nécessairement conduit la Russie à repenser totalement son organisation géopolitique. En effet, pour la première fois de son histoire, elle devient voisine d’états appartenant à l’OTAN et elle ne disposerait plus de zone tampon entre elle et l’Occident. En outre, la Russie fut privée d’un accès manifeste à la mer Baltique dont elle disposait via les ports baltes de Tallinn, Riga et Klaipéda.
Si les Baltes sont perçus comme un tout, ils continuent d’affirmer leurs singularités historiques et linguistiques. Le concept « balte » apparaît comme étant une construction extérieure. En effet, l’Estonie revendique un lien avec l’Europe du nord et la Finlande au niveau historique et linguistique ; la Lituanie s’inscrit dans la Mittel Europa et ses relations avec la Pologne, la religion catholique et son histoire médiévale (Duché de Lituanie) la conduisent à se différencier. La Lettonie devient finalement le seul des trois pays jouant sur l’identité balte, n’ayant pas d’alliés bien définis comme la Pologne ou la Finlande.
La prégnance du passé balte dans les relations étrangères
Pour assurer leur souveraineté et reconstruire un état national indépendant, les Baltes s’appuient sur leur première expérience démocratique entre 1919 et 1939. Les trois Etats ont eu leur première indépendance politique, cette dernière étant considérée comme étant un âge d’or où ils avaient tenté de se soustraire des oppositions géostratégiques régionaux. En outre, cette indépendance leur donne une légitimité pour adhérer aux valeurs occidentales : ils affirment dès lors que l’occupation soviétique ne fut qu’une parenthèse. Ils s’inscrivent pleinement dans un destin européen.
La communauté balte connait un tournant dans les années 1980. Les trois Etats souhaitent se différencier mais ils affirment des affinités afin de peser davantage sur la table des négociations. A la fin des années 1980, de premières évolutions apparaissent : les Baltes affirment leur solidarité et dénoncent le pacte germano-soviétique de 1939, les crimes staliniens et demandent l’indépendance. Pour cela, ils s’appuient sur plusieurs acteurs comme la diaspora balte établie aux Etats Unis ou dans les pays scandinaves, très active lors de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe en 1975. Ils affirment leur identité, notamment linguistique, et, profitant de la chute du mur de Berlin en Allemagne et de la révolution de Velours en République tchèque en 1989, les premières lois de nationalisation économique sont votées. Par ailleurs, cette même année la voie balte allant de Vilnius à Tallin (560km) via Riga regroupe 1,5 à 2 millions de personnes faisant une chaîne humaine pour demander leur indépendance. Ainsi, en 1990, les trois Etats votent leur souveraineté face à Moscou, et deviennent indépendants en 1991.
Dans un premier temps, l’intégration des Baltes dans l’OTAN conduit la Russie à repenser sa géostratégie régionale mais également la place de son enclave Kaliningrad. Cette région russe située entre la Pologne et les pays baltes abrite depuis 1991 une partie des anciens soldats russes mobilisés en Estonie, en Lettonie ou en Lituanie. Ce déplacement de soldats a détérioré les relations russo-baltes. Kaliningrad devient désormais une zone où vivent une majorité de militaires, et où les civils russes doivent disposer de visas pour aller en Russie en traversant la Lettonie. Le coût élevé des visas lettons contribue à une marginalisation des Russes dans la région selon Moscou. Kaliningrad représente une zone tactique d’ouverture à la Baltique et elle est le symbole d’une russification de la région depuis 1945.
La géographie balte a une influence majeure sur leur conscience identitaire. La stratégie balte oscille entre une animosité envers la Russie et une volonté d’intégrer les institutions occidentales. L’élargissement de l’OTAN crée des tensions dans les années 1990. En effet, les pays européens seraient dès lors scindés en deux groupes : les atlantistes et les non-atlantistes. De son côté, la Russie s’inquiète d’avoir des pays atlantistes à ses frontières. Les diplomates russes se demandent si l’ancien conflit de la guerre froide ne va pas se mouvoir et opposer désormais la Communauté des Etats indépendants (CEI) instituée en 1991 et l’OTAN. En outre, la Russie craint la fin de son « cordon sanitaire » face à l’Occident. Le pays étant désormais vaincu, un sentiment d’isolement face à l’Europe s’installe. Moscou développe dès lors une doctrine de l’étranger proche. Ces pays, à l’instar de la Lettonie, l’Estonie ou la Lituanie, l’Ukraine et de la Biélorussie, avec lesquels la Russie considère avoir des relations historiques, politiques, économiques et culturelles proches, ne peuvent être considérés par cette dernière comme de véritables étrangers. Pour les Baltes, cette doctrine laisse entendre qu’ils ne disposent pas d’une souveraineté temporaire. De surcroît, les manœuvres militaires russes aux frontières baltes et les conflits autour de la démilitarisation russe de la région ne font qu’accroître les dissensions.
La place de la Communauté européenne est perçue différemment par la Russie et par les Baltes. Pour Moscou, la future UE est une union politico-économique intégrée n’ayant pas d’aspect militaire. Ainsi, l’adhésion des Baltes serait mieux acceptée. Toutefois, les pays baltes voient la solution de l’UE comme secondaire ; la diplomatie extérieure balte se concentre sur une adhésion à l’OTAN et ne souhaite pas être abandonnée des Américains. Le mécanisme de défense européen étant peu développé, ils n’auraient pas de force dissuasive à opposer à la Russie. Face à ce dilemme, une dissension apparaît entre les Baltes : la Lituanie propose d’adhérer seule à l’OTAN tandis que l’Estonie et la Lettonie pourraient intégrer l’UE. Cet aspect développé pour la première fois dans l’ouvrage indique une volonté des pays baltes de se différencier afin de mener une politique étrangère efficace.
En outre, plusieurs alliances s’offrent aux Baltes dans les années 1990 comme l’alliance baltico-nordique. Cette alliance inscrit les Baltes dans une stratégie septentrionale soutenue entre autres par la Finlande ou la Norvège, qui souhaitent une alliance locale et ne pas impliquer davantage les Américains, contrairement à la Suède et au Danemark qui sont favorables à l’intégration des Baltes dans l’OTAN et à une présence américaine plus soutenue dans la région. Les Etats baltes décident d’accroître leur coopération avec les pays scandinaves au sein d’un Partenariat euro-atlantique et un Partenariat de la Paix en 1998. Enfin, le Conseil des Etats de la mer Baltique (1989-1992) regroupant les Etats ayant un accès à la mer Baltique fut un autre exemple d’organisation régionale permettant une intégration économique et politique pour les Baltes.
La régionalisation des Baltes semble être naturelle en 1991. En effet, d’un point de vue extérieur, les Etats sont similaires pour leurs alliés occidentaux. Toutefois, il convient de s’interroger sur une régionalisation à plus large échelle. En effet, les pays Baltes n’ont pas les mêmes intérêts. L’Estonie se place comme un Etat scandinave septentrional. De ce fait, elle pourrait s’intégrer avec les autres Etats de la Baltique. A l’inverse, la Lituanie possède de nombreux liens avec la Pologne et la Biélorussie. La notion des « Baltes » amène par conséquent à être déconstruite afin de comprendre leur réalité historique, linguistique et culturelle d’avant le XXe siècle. L’expression balte date du traité de 1934 entre les trois états amenant à une Entente baltique. Les Baltes deviennent une identité propre, se distinguant dès lors des Slaves et des Scandinaves. Ils sont associés par les acteurs étrangers et disposent d’une représentation d’un ensemble régional homogène, malgré leurs différences nombreuses. Toutefois, afin de peser dans les négociations et de porter leur voix en Europe, les Baltes s’associent et s’accordent participant à leur propre régionalisme.
Les Baltes opposent la Russie et l’Occident. Ils construisent et diffusent une image de la Russie afin de mieux s’y opposer. Ils promeuvent une identité occidentale afin que leur adhésion à l’OTAN et à l’UE soit d’autant plus acceptée et naturelle. Il y a une réelle cristallisation autour des questions identitaires dans la société balte. Pour cela, l’histoire soviétique est mise en parallèle avec l’occupation nazie. Les Baltes demandent à la Russie des dédommagements et se placent comme des Etats démocratiques face à une Russie non-démocratique. En outre, ils mettent un avant un nationalisme parfois xénophobe, en commémorant notamment des combattants nationaux qui ont combattu l’armée Rouge au côté de la Waffen SS. Enfin, l’annexion russe jamais reconnue par la Russie est un point central dans les tensions opposant ces trois pays et Moscou. En retour, la Russie s’oppose au traitement fait aux minorités russophones, principalement en Estonie et en Lettonie, et ne reconnait pas l’annexion russe. Deux interprétations manichéennes de l’histoire s’opposent. Les Baltes s’inscrivent aussi dans les thèses d’Huntington du choc des civilisations, où la civilisation russe est perçue comme barbare comparée à la civilisation occidentale dont ils souhaitent faire partie. Si la menace militaire russe est certes atténuée en 1991, les Baltes mettent en avant une menace politique, économique et industrielle plus insidieuse. En intégrant l’OTAN, les Baltes opèrent un retour à l’Europe et défendent des valeurs démocratiques qui sont dans les règles de l’OTAN. Les Baltes font davantage confiance à l’OTAN qu’à l’Europe de l’Ouest, étant toujours soumis au syndrome de Munich.
Tout d’abord, des politiques sont entreprises concernant les minorités russophones. Les pays Baltes ont connu plusieurs vagues migratoires de russophones. Au 19e siècle, des élites russes sont venues s’installer dans les pays baltes, principalement pour coloniser de nouvelles terres agricoles et elles se sont intégrées. Une seconde vague migratoire s’installe après 1945 où des Russes nommés « allogènes » sont venus vivre à la frontière entre l’Estonie, la Lettonie et la Russie. La Lituanie fut moins touchée par ces politiques de migrations de populations soviétiques. Ces russophones sont perçus comme des envahisseurs et sont assimilés aux Russes. En 1991, les russophones constituaient un tiers de la population estonienne et presque la moitié de la population lettone. Par conséquent, Baltes souhaitent que ces allogènes se réinstallent en Russie, alors que cette dernière ne leur offre pas la nationalité. Dans le même temps, des lois sur la langue retirent au russe le statut de langue officielle face à l’estonien et au letton. Ces populations immigrées russophones se doivent d’avoir la nationalité estonienne ou lettone, au risque d’être apatrides, mais ces lois conçues au début des années 1990 rendent l’accès à la citoyenneté estonienne et lettone complexe. Les russophones deviennent désormais des citoyens de seconde zone ayant une faible représentation démocratique. La Russie s’empare de cette question pour montrer les dérives nationalistes baltes.
Quelles identités chez les Baltes ?
Au-delà des tensions avec la Russie, les Baltes entreprennent un reformatage de leurs sociétés à l’occidentale, selon les critères de Copenhague. Ces critères sont à respecter pour intégrer la Communauté européenne. Ils obligent les futurs Etats membres à avoir des institutions politico-juridiques démocratiques, une économie de marché et la capacité à mettre en œuvre les acquis communautaires au niveau national. Ils veulent rétablir leur héritage constitutionnel de l’entre-deux guerres. Le nationalisme et la réconciliation nationale sont au cœur de la politique menée par la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. L’Estonie et la Lettonie mettent en place un régime constitutionnel, et la Lituanie a un régime constitutionnel présidentiel. Une période de lustration s’instaure afin d’éloigner les personnalités dirigeantes compromises pendant l’ère socialiste. Le multipartisme se redéveloppe, les élites jeunes, et formées souvent en Occident, sont portées au pouvoir.
Enfin, les Baltes revendiquent leur aspect septentrional au détriment de leur rattachement à l’Europe de l’Est russophone. En effet, des liens prégnants existent entre les Baltes et leurs alliés nordiques c’est-à-dire la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark. Ils se concrétisent au sein d’un Conseil d’Etat de la mer Baltique créé en 1992. En effet, il s’agit principalement de mettre en place une politique baltique unifiée, et ces Etats font dès lors office de relais dans la politique et les intérêts baltes.
La recherche sur la politique étrangère balte insiste sur leur européanisme politique et identitaire face à la civilisation russe, dans une perspective de choc civilisationnel développée par Samuel Huntington. Les Baltes font preuve d’une transition dans les années 1990 complète et conforme aux critères occidentaux de mise en place d’institutions juridico-politiques démocratiques.
Le repli nationaliste des Baltes à partir de 1991 s’accompagne de la construction d’une identité linguistique autour de la mémoire et de l’histoire balte. Ce nouveau paradigme a lieu dans de nombreux Etats de l’ex-URSS à l’instar de l’Ukraine qui souhaitent affirmer leur différence par rapport à l’Union soviétique. Le rôle des historiens dans la construction du récit national et du pouvoir politique dans la patrimonialisation est prégnant. Il y a une articulation entre le territoire et la mémoire dans les pays baltes, autour des statues soviétiques et des régions frontalières. Les Baltes veulent affirmer leur empreinte nationale tout en rejoignant le camp euro-atlantiste. Ils rejettent les héritages patrimoniaux et historiques soviétiques et cela contribue à accroître les tensions avec la Russie. A Riga, un musée de l’occupation de la Lettonie a vu le jour retraçant l’histoire de 1940 à 1991. Ainsi le socialisme soviétique et le nazisme sont mis sur le même pied d’égalité pour avoir réprimé les populations lettones. A Vilnius, un musée du génocide a été construit. La représentation du passé dispose d’une importance fondamentale pour comprendre la volonté des Baltes de rejoindre les institutions européennes. Leur première indépendance avortée et le non-respect de leur neutralité ont conduit à avoir une transition politique tranchée en 1991 à destination de l’Ouest. Ils se distinguent des ex-républiques socialistes Asie centrale en ce point.
Enfin, la problématique des minorités russes peut être analysée dans une volonté balte de construire son identité souveraine. Les Baltes ont connu une politique de russification de leur population pendant l’époque soviétique. En 1991, les Russes et russophones représentent la première minorité en Estonie et en Lettonie. Dans le même temps, une crise démographique s’installe et les pouvoirs politiques souhaitent modifier le partage ethnique de leurs populations. Tandis que les Estoniens représentaient 60% de la population en 1989, ils sont 80% dans les années 2010. Par ailleurs, si les Russes représentaient un tiers de la population lettone en 1989, ils sont environ 25% aujourd’hui. Cela peut s’expliquer par la difficulté d’accès à la citoyenneté des populations russophones qui ont pour nombre d’entre elles émigré en Russie, en Europe occidentale ou aux Etats-Unis. La construction des nations politiques baltes fut en 1991 influencée par leur première période d’indépendance. La Lettonie a par exemple considéré que la période soviétique sur son territoire était une occupation et une parenthèse. Ainsi, les personnes, notamment les allogènes russes, arrivées sur son territoire pendant cette période ne pouvait être considérées comme lettones.
L’économie et la géostratégie dans le régionalisme balte
Les Baltes ont élargi leur concept de sécurité en incluant les menaces économiques, terroristes et environnementales. En effet ces derniers ont une économie attractive dans certains domaines. L’Estonie est engagée dans des recherches sur la cyber-sécurité dès les années 2000 et se situe à la pointe dans ce domaine. Par ailleurs, la Lituanie a développé la sécurité énergétique. Ils entrent alors dans des logiques de spécialisation et de valorisation de projets sécuritaires comme dans la cyber-sécurité. Ainsi, depuis 2012 Tallinn accueille l’agence de gestion du système Schengen – SIS. Ils s’investissent dans le développement et certains projets européens. Dans le même temps ils bénéficient d’aides européennes pour développer les infrastructures de transport comme la via baltica ou la rail baltica.
La façade maritime balte est essentielle pour l’URSS et les ports se développent. Suite à l’indépendance, la Russie construit de nouveaux ports. Néanmoins, le commerce russe, biélorusse et ukrainien continue à transiter par les ports baltes. Une politique émerge visant à faire de ces ports des points de départ économique pour toute la CEI. Les autorités portuaires présentes à Riga ou à Tallinn ont des relations économiques importantes avec l’arrière-pays. Le port de Riga joue un rôle majeur pour la CEI et notamment pour le Kazakhstan. Des trains relient le Kazakhstan et Riga et il est fréquent que des délégations de classe portuaire baltes se rendent en Asie centrale pour renforcer les liens. Il en va de même avec la Russie où le port de Riga est un point de débouché pour l’exportation du charbon sibérien. Ainsi, suite aux relations conflictuelles entre les Baltes et les Russes, les autorités russes ont en effet développé leurs bases autour de Saint Pétersbourg avec Primosk. Mais un trafic important passe par les pays baltes.
Ces éléments soulignent le fait que les stratégies politiques et les actions d’entreprises de transport diffèrent. Les entreprises russes investissent sur le port de Riga, cela ne correspond pas aux discours critiques des autorités russes vis-à-vis de la Lettonie, ou de décideurs lettons par rapport à la Russie. Il existe un décalage important entre le discours politique et les pratiques des acteurs économiques. Les autorités portuaires veulent faire des Baltes une interface et une façade portuaire importante pour le monde post-soviétique. Des projets sont menées pour développer les infrastructures dans les pays baltes notamment au niveau des transports. Le projet de la via baltica a pour objectif de créer des autoroutes et des voies ferrées pour relier les pays baltes entre eux. Par conséquent, si l’Ouest de l’Europe constitue un marché attrayant et rejoint la volonté politique balte d’un virage à l’Ouest, l’Est reste une opportunité de marché manifeste.
Les Baltes ont repensé leur économie afin de devenir un pôle géostratégique régional. Dans un premier temps, les ports de Tallinn, Riga et Klaipéda furent développés afin d’être intégrés au commerce maritime de la Baltique. Le commerce dans la Baltique atteint 8% du commerce maritime mondial. Grâce à leurs liaisons avec l’Allemagne du Nord, les pays Baltes se placent en interface entre l’hinterland russe, centrasiatique et l’Europe. Dans le même temps, ils s’appuient sur les nouvelles technologies. Les capitales de Tallinn et Riga insistent sur leur capacité à attirer des start-up et des fintech européennes.
References
CHILLAUD, Matthieu. “Les Pays baltes en quête de sécurité.” Inst. de Stratégie Comparée, 2009.
GIBLIN, Béatrice. “L'est de l'Union européenne.” Hérodote, 2008, no 1, p. 3-8.
PERCHOC, Philippe, et al. « Les États baltes, entre défense territoriale et élargissement des concepts de sécurité. » Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2013, vol. 44, no 03, p. 61-88.
RICHARD, Yann « Pays Baltes – Russie. L’impossible coopération transfrontalière? », L’Espace Politique [En ligne], 14 | 2011-2, mis en ligne le 11 juillet 2011.