Elections : l'Ukraine sera-t-elle une orange bleue ?

Par Philippe Perchoc | 21 septembre 2007

Pour citer cet article : Philippe Perchoc, “Elections : l'Ukraine sera-t-elle une orange bleue ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Vendredi 21 septembre 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/node/270, consulté le 26 mars 2023
 
Le 30 septembre 2007, de nouvelles élections législatives sous tension auront lieu en Ukraine. Le Premier ministre voudrait éviter que le pays ne s'engage dans une alliance avec l'Ouest alors que le Président verrait bien l'Ukraine en Orange bleue.
 

L'Ukraine orange : mode d'emploi

 
Le système institutionnel ukrainien est hybride, à la fois parlementaire et présidentiel. Il est organisé autour d'une seule assemblée, la Verkhovna Rada (Conseil Suprême) élu au suffrage universel proportionnel pour quatre ans. Tous les partis rassemblant plus de 3% des voix peuvent y être représentés.
 
La réforme constitutionnelle issue de la révolution orange de 2004 et appliquée en 2006 a renforcé les pouvoirs de la Rada au détriment de ceux de la présidence : cette dernière a perdu le droit de nommer le Premier ministre ainsi que l'ensemble des ministres à l'exception de ceux des Affaires étrangères et de la Défense, domaines réservés du Président. En échange de ces nouveaux pouvoirs, les parlementaires ont perdu la possibilité de changer de groupe politique au cours de leur mandat.
 

Bataille constitutionnelle

 
C'est justement une querelle autour de cette dernière disposition qui a précipité une crise depuis longtemps en germe. En avril 2007, 11 députés du "Bloc Notre-Ukraine" du Président Viktor Ioutchenko ont quitté le parti pour rejoindre les rangs du "Parti des Régions" du Premier ministre Viktor Ianoukovitch. Le Président a donc décidé de dissoudre la Rada car ce changement de camp était inconstitutionnel. Mais les préoccupations présidentielles étaient plus profondes : il soupçonne le "Parti des Régions" de vouloir atteindre les 300 députés (2/3) nécessaires au passage en force contre les vetos présidentiels, au changement de la Constitution et même à une possible destitution de Ioutchenko. 
 
En effet, depuis le printemps 2006 et la dislocation de l'entente entre Viktor Ioutchenko, le leader de la révolution orange, et Ioula Timochenko, son égérie, le Président a été obligé de nommer Viktor Ianoukovitch Premier Ministre. Ainsi les deux ennemis d'hier ont signé un "pacte de gouvernement" et Timochenko, l'ancienne Premier ministre en 2005, se retrouve officiellement dans l'opposition alors que son parti est arrivé second aux élections.
 
Les élections législatives anticipées annoncées pour le 30 septembre 2007 vont voir deux conceptions de la place de l'Ukraine sur la scène internationale s'affronter.
Tout d'abord, Ianoukovitch et Ioutchenko sont soutenus par deux électorats très différents comme l'ont montré les élections de mars 2006.
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sce: wikipedia 
On voit bien sur cette carte que le vote ukrainien est assez homogène géographiquement. En effet, le "Parti des Régions" de Viktor Ianoukovitch est très majoritaire dans les régions de l'Est du pays, industrielles et liées économiquement à la Russie. D'ailleurs, la campagne de Ianoukovitch a été en grande partie financée par les conglomérats industriels de l'Est qui redoutent qu'une orientation trop pro-américaine de Kiev ne crée une "nouvelle guerre du gaz" avec la Russie qui serait fatale à leur compétitivité. 
De l'autre côté, Vikor Ioutchenko est minoritaire et surtout représenté à l'Ouest alors que Ioulia Timochenko est, elle, largement favorisée par les régions du centre de l'Ukraine. Ces deux derniers, un temps leaders de la révolution orange, se sont empêtrés dans des querelles personnelles, s'accusant l'un l'autre de corruption et n'arrivant pas à surmonter leurs différends. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Président Ioutchenko a refusé de nommer Ioulia Timochenko Premier ministre à la suite des élections de 2006. 
 

Deux Viktors, une Ukraine 

 
On a beaucoup lu dans les médias que deux Ukraine s'affrontaient à travers la bataille des deux Viktors : une Ukraine occidentale, anciennement partie du royaume de Pologne, catholique, peuplée majoritairement d'ukrainophones et une seconde Ukraine, russophone et orthodoxe. Les clivages, notamment linguistiques, ne sont pas si nets. 
 
D'ailleurs, l'enjeu politique des élections ne se situe pas entre un Ianoukovitch qui serait contre une adhésion à l'Union européenne et un Ioutchenko qui serait pour : contrairement à ce qui se dit dans les médias de l'Ouest, tous les deux sont pour.
Le clivage fondamental semble se cristaliser autour d'une éventuelle demande d'adhésion à l'OTAN. En effet, les pays baltes furent les premières anciennes républiques soviétiques à adhérer à l'alliance atlantique, l'Ukraine semble, elle, hésiter. Les coûts économiques, industriels et politiques d'une telle demande seraient immenses pour le pays mais les plus nationalistes, comme Ioulia Timochenko, sont d'ardents défenseurs de cette solution.  
 
Aujourd'hui, le "Parti des régions" semble en tête mais il devra surmonter ses propres divisions internes. Comme le souligne Corine Deloy de la Fondation Robert Schuman, Ianoukovitch sera bien en peine de convaincre ses troupes qu'il réalisera les promesses qu'il n'a pas pu tenir jusqu'à aujourd'hui comme le statut de seconde langue officielle pour le russe, la possibilité d'une double nationalité russo-ukrainienne et le renforcement des droits des Russes de Crimée. 
D'un autre côté, il est très compliqué de prévoir de l'extérieur une possible réconcilliation entre Ioutchenko et Timochenko, alors que celle-ci donnerait à la révolution orange de nouvelles bases sur lesquelles appuyer un retour au pouvoir.
 
Pour en savoir plus : 
 
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picto_1jpeg International Centre for Policy Studies (ICPS): Primaries are a way to bring voters closer to politics (3 September 2007) - (en anglais)
picto_1jpeg International Herald Tribune: EU leaders urge quick cabinet formation, political stability in Ukraine (14 September 2007)-(en anglais)
   
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