Pour citer cet article : Sara Pini, “Éducation en transition et éducation dans la transition en Europe Centrale”, Nouvelle Europe [en ligne], Samedi 18 août 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/node/245, consulté le 26 mars 2023




Les études sur la transition dans les pays de l’ex-bloc soviétique se sont souvent concentrés sur les aspects économiques et politiques de ce phénomène, en négligeant les éléments sociaux et culturels.
Cette tendance est certes compréhensible, à la lumière du lien étroit établi entre transition et européanisation : les changements à l’œuvre dans les Etats d’Europe centrale et orientale étaient en effet vus avant tout comme conditions de leur adhésion à l’Union Européenne, qui était essentiellement soumise au respect de critères économiques et politiques, concernant notamment le marché unique, l’état de droit et le respect des droits de l’homme.
Cela ne doit toutefois pas faire oublier l’importance que revêt l’émergence d’une véritable société civile, pour que les autres aspects de la transition puissent connaître le succès et s’ancrer dans la durée. La réussite du changement dépend en effet du soutien dont il bénéficie auprès de l’ensemble de la population et non pas uniquement dans une élite restreinte. A cette fin, le rôle du système éducatif est primordial : celui-ci a en effet la double tâche de former les nouvelles élites qui guideront le changement et de faire pénétrer en profondeur dans la société des idées, des valeurs et des cadres conceptuels nouveaux.
Les pays d’Europe centrale et orientale, qui passent, souvent de façon abrupte et traumatique, du totalitarisme à la démocratie et d’une économie planifiée au libre marché, se trouvent à faire face à des défis similaires.
D’abord, les structures socio-économiques ont été bouleversées, ce qui a eu des conséquenses sur les attentes adressées au système éducatif : les exigeances d’une économie centralement planifiée portaient en effet à privilégier une formation professionnelle spécialisée, qui prépare les futures générations à exercer des métiers spécifiques dans les grandes entreprises étatiques. De plus, on insistait beaucoup sur l’apprentissage de faits et techniques et moins sur le développement d’une capacité autonome permettant d’adapter ses connaissances à des situations nouvelles, ce qui n’était pas nécessaire dans un système où l’emploi était garanti par l’Etat. Ce système se revèle toutefois inadapté à former les professionnels dont nécessite une économie de marché, qui demande plus de responsabilité individuelle et de capacité d’adaptation.
Ensuite, la transition est caractérisée par un retrait de l’Etat dans tous les domaines de la vie sociale, politique et économique et le système d’enseignement se trouve de même confronté à une demande de réduction du rôle de l’Etat : liberté d’enseignement, autonomie des établissements et développement de l’enseignement privé trouvent progressivement leur place dans des pays où le régime communiste avait imposé des programmes établis au niveau central, des nominations politiques et des méthodes rigides et autoritaires.
Enfin, les contenus mêmes de l’enseignement se trouvent révolutionnés : la chute du système socialiste implique en effet l’abandon ou la revision des matières qui avaient été des instruments d’indoctrinement politique et qui jouent maintenant un rôle fondamental dans l’émergence d’une conscience nationale. De même, l’anglais, et en moindre mesure d’autres langues européennes, remplacent très rapidement le russe, dont l’enseignement connaît une crise profonde, qui peut être expliquée aussi bien par des facteurs économiques et pratiques que par des raisons idéologiques.
La forme change en même temps que le contenu : les établissements d’enseignement expérimentent de nouvelles méthodes pédagogiques, plus souples et interactives, qui laissent davantage d’espace aussi bien à l’initiative personnelle qu’aux spécificités locales. Le changement n’est toutefois pas indolore ni simple, tant pour le système éducatif qu’au niveau économique et politique : la crise économique affecte la qualité de l’enseignement et creuse les inégalités ; la mentalité héritée de l’époque socialiste, fondée sur une attitude égalitaire et sur des fortes attentes envers l’Etat, freine les innovations et les conflits entre gagnants et perdants de la transition et entre long et court terme rendent difficile l’identification de lignes d’action claires.
Si on peut identifier des tendances lourdes propres à tous ces Etats, il ne faut toutefois pas oublier qu’ils peuvent connaître des trajectoires différentes, en fonction des caractéristiques nationales du communisme et de la transition, ainsi que de différents facteurs externes. On se concentrera donc sur un groupe d’Etats plutôt homogène, ceux d’Europe centrale, qui possèdent certaines caractéristiques communes qu’on mettra en évidence dans un premier temps ; toutefois, on ne peut pas négliger les différences qui subsistent parmi des pays si proches et c’est pourquoi on terminera ce dossier par trois études de cas sur la Pologne, la Hongrie et l’ancienne Tchécoslovaquie, bien que les trajectoires des deux Républiques héritières de ce dernier pays se soient vite éloignées à leur tour.
Aussi bien les études de cas que l’analyse plus générale des changements dans l’ex-bloc communiste seront utiles pour mettre en évidence un double phénomène : le rôle de l’éducation dans la transition et l’influence de la transition sur l’éducation.