Près de dix ans après la Révolution orange, les Ukrainiens sont redescendus dans la rue en novembre 2013 pour exprimer leur soif de démocratie face à une élite toujours corrompue, autoritaire et trop soumise à Moscou. Cependant, la violence et les conséquences de ces protestations vont cette fois-ci bien plus loin qu’il y a neuf ans: en jeu se trouvent aujourd’hui l’intégrité territoriale de l’Ukraine et la perspective d’une nouvelle redéfinition des frontières européennes plus de vingt ans après l’éclatement du bloc soviétique.
La crise ukrainienne remet à nouveau les Européens face à leur responsabilité vis-à-vis de leurs voisins orientaux. Séparatismes, intégration des minorités et influence russe dans ce que Moscou considère encore comme son « étranger proche » posent autant de questions héritées de la guerre froide auxquelles les Européens ne savent pas répondre d’une seule voix. La difficulté de définir une position commune entre des Etats aux intérêts économiques et politiques divers est une constante de la politique étrangère européenne qui ne s’est pas miraculeusement résolue par la nomination de Catherine Ashton. Il en va pourtant de la crédibilité de l’Union ; pas seulement de sa politique étrangère mais également de sa capacité à assurer sa mission première, celle d’assurer la paix et la sécurité du continent. L’UE en crise n’est pas un modèle de puissance économique et de prospérité, mais elle reste fondée sur la volonté d’empêcher les guerres par l’intégration à un système basé sur l’échange, la négociation et le consensus. Avec la fin de la guerre froide, cette mission ne s’arrête plus au rideau de fer mais s’étend bien à tout le continent et au-delà.
La nécessité d’une UE forte sur la scène internationale prend une importance particulière lorsqu’elle doit faire face à la Russie de Vladimir Poutine, en quête de puissance et déterminée à reconstruire son aire d’influence. La stratégie russe est révélatrice d’une vision du monde encore et toujours fondée sur les rapports de puissance, qui ne se conçoivent pas seulement en termes économiques mais également en gains territoriaux. Une idée dépassée au 21e siècle ? Ou est-ce la vision européenne d’un système fondé sur des relations interétatiques réglées et policées qui apparaît bien trop idéaliste dans un monde qui, depuis la fin de la guerre froide, a peut-être moins changé qu’on ne le pensait ?
Théâtre de la confrontation entre deux visions du monde, l’Ukraine est aujourd’hui au bord de la désintégration. La contestation de l’autorité centrale de Kiev ne se limite plus à la Crimée et la protestation politique, plutôt que d’évoluer vers un débat politique constructif, s’enlise dans la violence. Le but de ce dossier n’était pas de proposer un résumé de la situation qui serait bien vite dépassé par la rapidité des événements, mais bien une analyse des origines de la crise, de la réaction des Européens, et des conséquences et enjeux des bouleversements territoriaux qui l'accompagnent. Autant de sujet cruciaux pour l'avenir de la nouvelle Europe, un territoire toujours en évolution.
Dans ce dossier
- Prochain Maidan à Bucarest ? Les conséquences des événements en Ukraine sur les pays voisins, Irina Boulin-Ghica
- Union et désunions autour de l'Ukraine, Gatien Du Bois
- La contagion d'Euromaïdan, Jean-Baptiste Kastel
- Bosnie 1914 - Ukraine 2014: la fin du XXI siècle, Philippe Perchoc
- Crimée : le jeu en vaut-il la chandelle, Monsieur Poutine?, Benjamin Schifres
- Arnoldas Pranckevičius : ce que la crise de Crimée signifie pour l’Europe, entretien mené par Tanguy Séné
Sur la version anglaise de Nouvelle Europe
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Interview with Michal Czaplicki, Heli Parna
- Arnoldas Pranckevičius: what the Crimea crisis means for Europe, entretien mené par Tanguy Séné
- “Welcome to Hell”: The Difficult Legacy of Viktor Yanukovych, Claudia Thaler
- Olena Chernova: "There is only one path: towards the EU", entretien mené par Annamária Tóth
Source photo: Just a few, flickr