Europe et défense : mutualiser les forces ?

Par Tanguy Séné | 18 octobre 2011

  

Selon les mots du diplomate Hubert Védrine, les Européens veulent une grande Suisse. Jugeons-en : vingt-et-un membres de l’UE sur vingt-sept sont déjà membres de l’OTAN ; le reste est composé de pays neutres. La politique de défense européenne se décide à l'unanimité. Et la dernière fois qu’une guerre est survenue sur le Vieux Continent, il a en effet fallu le secours de l'OTAN, sous direction américaine. Pas la peine d’insister : l’Europe de la défense n’est pas la défense de l’Europe. Pour le moment ?

 

Dans ce domaine hautement sensible, la construction européenne est évidemment la plus difficile. Aurait-on pu obliger le Royaume-Uni à ne pas s’engager dans la guerre d’Irak, faute de majorité qualifiée ? La France devrait-elle se soumettre à l’avis de ses partenaires européens pour intervenir en Libye ? En vérité, l’idée d’une « Europe-puissance » sur le plan militaire, capable d’intervenir sur les théâtres d’opération partout dans le monde, est une idée très française de l’après-Seconde Guerre mondiale. L’intérêt  collectif d’une force mutualisée à l’échelle d’un continent est pourtant claire, et après plusieurs échecs fracassants (comme l’abandon de la Communauté européenne de la défense (CED) en 1954), se met en place avec le traité de Maastricht la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), encore largement intergouvernementale – c’est un premier pas. Aux Conseils européens de Cologne et Helsinki de 1999, on institue enfin une politique de défense commune : la PESD. La dénomination post-Lisbonne, dans la perspective optimiste d'une nouvelle politique commune,  s'arrête sur le terme "Politique de sécurité et de défense commune" (PSDC).

Quelques soient les termes et acronymes, nous assistons depuis quelques années à la croissance enfantine ponctuée de titubements de cette Europe de la défense : paralysie lors des guerres d’ex-Yougoslavie, rôle de stabilisation dans le monde à grand renfort d’opérations civilo-militaires (Moldavie, Géorgie, Congo , etc), division insurmontable face à l'engagement en Irak, cacophonie couvrant les initiatives en Libye. Le traité de Lisbonne a certes marqué le début d’un nouveau stade, avec l’institution d’un « Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » (actuellement Lady Ashton). Reste que le traité ne s'est pas tmontré très audacieux : l’article relatif à l’assistance mutuelle en cas d’agression (article 42 TFUE) ne mentionne pas explicitement les moyens militaires comme moyen de réaction, prend garde de ne pas affecter le « caractère spécifique » de la politique de défense de « certains États membres » (comprendre les États neutres), et enfin, consacre le rôle de l’OTAN auprès des 27 comme « le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre ».

Mais le contexte de la crise économique change la donne. L’avantage de s’en remettre à des structures communes de défense : des économies budgétaires considérables. À l’heure de la crise de la dette souveraine,  les Etats-Unis auraient-ils une dette si difficile à gérer sans les coûts titanesques de leurs interventions militaires ? L’Europe, objet politique souple, est capable de créer une nouvelle forme de coopération innovante dans le domaine de la défense.

Qui cependant parviendrait déjà à imaginer une véritable "armée bleue", force européenne commune dépasserant des siècles d'affrontement nationaux, constituée d'hommes prêts à mourir pour l'"Europe" ?

Les questions ne s'arrêtent pas là. Quel est l’état actuel de l’industrie de la défense en Europe comparé aux autres pays du monde et qu'est-ce que cela nous dit de notre poids dans les relations internationales ? Quel rôle pour le Haut représentant  - Lady Ashton en l'occurence ? Quelle influence le Parlement européen peut-il avoir sur cette politique de la défense transnationale ?  Interrogeons-nous surtout sur le projet politique qui pourrait (enfin) donner un sens à la défense européenne

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Source photo : EU_FOR, sur wikimediacommons