Disparition du cinéaste suédois Ingmar Bergman

Par Virginie Lamotte | 1 août 2007

Pour citer cet article : Virginie Lamotte, “Disparition du cinéaste suédois Ingmar Bergman”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 1 août 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/node/241, consulté le 27 mars 2023

ingmar_bergman_face_to_faceHomme de théâtre, réalisateur, producteur, scénariste et auteur, Ingmar Bergman a passé toute sa vie à mêler ses deux passions : le théâtre et le cinéma. Son décès, lundi 30 juillet 2007, a provoqué une vive émotion en Suède, son pays natal, et le monde entier rend actuellement hommage à ce maître du cinéma moderne européen. Il laisse derrière lui une œuvre considérable composée de 54 films, 126 productions théâtrales et 39 pièces radiophoniques.

Une vie tumultueuse…

Né le 14 juillet 1918, à Uppsala en Suède, Ingmar Bergman est le fils d’un pasteur luthérien, dont il reçoit une éducation rigoureuse et autoritaire, fondée sur les principes de pêché, de culpabilité et de repentir. Cependant, malgré la sévérité de son père, l'enseignement reçu par Bergman reste très ouvert sur les arts et cela va faire naître très tôt chez lui une passion pour le théâtre et le cinéma.

Étudiant en histoire et littérature à l’université de Stockholm, il est rattrapé par sa passion du théâtre. Il intègre ainsi la Svensk Filmindustri au sein d’une équipe de scénaristes. Son premier script, Tourments, est porté à l’écran en 1944 et est réalisé par Alf Sjoborg. L’année suivante, il sort son premier film en tant que réalisateur, Crise, adaptation d’une pièce de théâtre. Déjà, de par le choix du sujet, il porte la marque Bergman : le monde du spectacle, qu’il ne cessera de mettre en scène tout au long de sa carrière.

Le théâtre est en effet une passion qu’il ne délaissera jamais tant comme metteur en scène que comme décors de films. En outre, il avait l’habitude de concevoir ses films comme une tournée, s’entourant d’une équipe réduite qu’il conservera jusqu’à la fin. La vie était pour lui une éternelle représentation.

En 1982, lorsque sort son film Fanny et Alexandre, il annonce qu’il prend sa retraite et adresse ainsi ses adieux au cinéma. Il ne cessera néanmoins d’écrire des scénarios et de travailler pour le petit écran.

Les sources d’inspiration de Bergman

De nombreux sujets sont chers à Ingmar Bergman. Derrière une réflexion complexe sur tout ce qui touche à la vie et à l’existence, on retrouve des thèmes du quotidien, qui sont sources d’inspiration pour lui.

Ainsi, un de ses nombreux sujets est celui du couple, dans toutes ses dimensions : incompréhension de l’un à l’autre, sexualité, trahisons. Selon lui, l’harmonie était impossible dans la vie du couple. C’est ce que l’on retrouve dans des films comme La soif (1949) ou Monika (1953). Un autre sujet, très lié à l'oeuvre de Bergman, est celui de la peur de la solitude, qu’il conçoit comme une malédiction. Dans L’attente des femmes (1952), le personnage de Lobelius dira même que « le pire n’est pas d’être trahi, c’est d’être seul ». Il ne faut pas oublier non plus les rapports très particuliers que Bergman avait avec ses personnages féminins, toujours plus travaillés que ceux des hommes. Ils constituaient les interprètes privilégiés du réalisateur.

La religion, notamment dans ses rapports à Dieu, est présente dès ses premières réalisations. Il l’associe à la vision nécessairement tragique de l’existence du philosophe danois Kierkegaard. Cette perception atteint son paroxysme dans Les Communiants (1963), où il revient sur sa relation avec son père, dont le personnage du pasteur ayant perdu la foi, est inspiré. Associé à cela, la peur de la mort est aussi très présente, telle dans Le Septième Sceau (1957), où l’épouvantail de la mort est là pour rappeler qu’il faut revenir sur ce que l’on a fait dans la vie.

Enfin, il y a l’enfance. Il était important pour lui de ne pas oublier d’où l’on vient et que chacun a déjà vu le monde à travers des yeux d’enfants. C’est une vision irremplaçable qu’il faut préserver et entretenir car il n’est pas possible de revenir en arrière.

La dimension européenne de l’œuvre d’Ingmar Bergman

Dès ses débuts, le cinéma européen, italien et tout particulièrement français, l’a influencé. Ses maîtres étaient Marcel Carré, Jean Renoir, et les essais sur l’existentialisme de Sartre et de Camus.

Il acquière la reconnaissance internationale avec le festival de Cannes où ses films Sourires d’une nuit d’été (1955) et le Septième Sceau (1957, adapté d’une de ses pièces de théâtre) ont été primés. En 1958, ce sont Les fraises sauvages qui reçoivent l’Ours d’or de Berlin. Enfin, à la Mostra de Venise, ses films ont toujours été bien accueillis par la critique. En 1997, lors des célébrations des 50 ans du festival de Cannes, il reçoit la Palme des Palmes. C’est aujourd’hui l’un des réalisateurs les plus primés du festival.

Malgré ce succès et cette renommée internationale jamais démentie, il continuera à tourner en Suède, alternant ses deux passions : le théâtre durant l’année et le cinéma l’été.

Le plus bel hommage européen à Bergman provient sans doute du journal allemand Die Welt, par la plume de son journaliste Hans-Georg Rodek qui écrit : « La grandeur de Bergman apparaît lorsqu'il associe ses propres doutes au déchirement d'un siècle et d'un continent, l'Europe du 20ème siècle. (...) L'oeuvre de Bergman montre une profonde compréhension du monde affectif de la bourgeoisie. Parce que cette dernière éprouve les mêmes sentiments, qu'elle soit suédoise ou italienne, allemande ou espagnole, et parce qu'elle a connu les mêmes crises - bien qu'à des moments différents. Toute l'Europe se retrouve dans les films de Bergman. Ses personnages doutent des autorités, de Dieu, de l'Eglise, du mariage, et ils ont peur d'admettre ces doutes car ils devraient en tirer les conséquences ».

Un pays en deuil

La Suède est aujourd’hui un pays en deuil, profondément attristé par la mort de cet homme sans égal. C’est tout un pays qui lui rend actuellement hommage à tous les niveaux.

Les médias lui accordent une large place depuis lundi. La presse a publié des éditions spéciales, des journaux qui lui sont entièrement consacrées, notamment le Svenska Dagbladet qui propose à ses lecteurs une rétrospective de son parcours et de son œuvre (édition du 31 juillet 2007). À la télévision, ce sont des décrochages d’informations qui ont eu lieu tout au long de la journée dès l’annonce de son décès, et une réorganisation des grilles des programmes du mois d’août en accordant une place à toute la filmographie d’Ingmar Bergman. Sur Internet, ce sont des livres d’or qui ont été ouverts.

Pour finir, le gouvernement suédois a lui aussi commenté son décès, et notamment le Premier Ministre Fredrik Reinfeldt, pour qui Ingmar Bergman était l’un des plus grands hommes de cinéma de son temps. Il ajoute qu’il est aussi difficile de comprendre entièrement l’ampleur de sa contribution au cinéma suédois tant son œuvre est immortelle. D’autre part, pour la Ministre de la Culture Lena Adelsohn Liljeroth, par la lumière et le sérieux de ses films comme Les fraises sauvages, mais aussi les inoubliables conversations existentielles des Scènes de la vie conjugale, Ingmar Bergman a toujours fait partager ses luttes avec ses démons intérieurs et a su toucher les gens partout dans le monde.

 

Pour en savoir plus

Sur Internet

  • Pour découvrir ou redécouvrir la filmographie d'Ingmar Bergman (français)

  • Le site officiel sur Ingmar Bergman en Suède, Ingmar Bergman Face To Face (suédois et anglais)

  • Pour avoir un aperçu des témoignages de la presse européenne lors de l'annonce de son décès, la revue de presse d'Eurotopics du 31 juillet 2007

Source photo : Bengt Wanselius pour Ingmar Bergman Face To Face