Des relations économiques gréco-russes en développement continu mais inégal

Par Antoine Lanthony | 20 février 2015

Pour citer cet article : Antoine Lanthony, “Des relations économiques gréco-russes en développement continu mais inégal”, Nouvelle Europe [en ligne], Vendredi 20 février 2015, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1870, consulté le 02 juin 2023

Les relations économiques gréco-russes dans un contexte d’austérité : la Russie, un partenaire économique essentiel

Après cinq années d'austérité, l'économie et la société grecques apparaissent comme exsangues. Selon une enquête publiée par Okeanews.fr et le Journal indépendant des rédacteurs en mai 2014, les chiffres de l'austérité montrent que nous sommes loin d'une success story : sur la période 2009-2014, il y a eu 30% des entreprises fermées, 38% de baisse des salaires, 45% de baisse des retraites, 190.5% d'augmentation du chômage, 35.5% d'augmentation de la dette publique, 25% de baisse du PIB, 84.3% de réduction des activités de construction, 98.2% d'augmentation du taux de pauvreté, 2 personnes qui se suicident chaque jour. Précisons ici que les données proviennent d'Eurostat, ELSTAT, la Banque de Grèce, l'Institut du Travail de la Confédération générale des travailleurs de Grèce et l'Institut de recherche universitaire de santé mentale (EPIPSY).

Ces pourcentages situent les relations actuelles entre la Grèce et la Russie dans un contexte général de crispation économique et sociale. Mise dos au mur économiquement, cherchant à trouver ici et là un moyen de rembourser ses prêts, la Grèce voit donc les sanctions économiques prises contre la Russie d'un très mauvais œil.

En effet, dans un article publié par Le Spiegel le 31 janvier dernier, il est estimé qu'une guerre commerciale avec la Russie coûterait environ 4% de PIB à la Grèce. Étant traditionnellement un pays agricole, les pertes liées à l'embargo russe étaient estimées à 406 millions d'euros par le journal grec Tvxs en août 2014. Selon le même journal, 41.5% des exportations grecques vers la Russie sont des fruits et des légumes et 50% des exportations de fraises étaient destinées aux marchés russe et ukrainien. Dans certaines régions de Grèce, plus de 60% des productions de jus de fruits et plus de 50% des productions de kiwis et 41% des exportations de pêche étaient destinées au marché russe l'an passé. Le gel des exportations a donc entrainé une chute libre des prix et s'est traduite par des frigos remplis de 8.000 à 9.000 tonnes de pêches, au profit de pays tels que la Turquie, l'Argentine ou le Chili qui se proposaient en août dernier de répondre aux besoins alimentaires de la Russie, en plus des traditionnels fournisseurs du Caucase et d’Asie centrale.

Le tourisme constitue un autre secteur important de l'économie grecque et un autre fondement des relations économiques avec la Russie. Ainsi, 23 millions de personnes ont visité la Grèce en 2014 ce qui signifie une augmentation de 15% par rapport à l'année précédente. En octobre dernier, le président de l'Association grecque des entreprises du tourisme (SETE) annonçait que le tourisme grec avait rapporté à l'économie grecque 17.1 milliards d'euros et que la contribution du tourisme à l'économie réelle se situerait entre 37.6 et 45.3 milliards d'euros.

La Grèce a représenté en 2013 la troisième destination étrangère pour les citoyens russes (1,175 millions de personnes, en hausse de 70% entre 2012 et 2013), derrière l’Egypte (1,909 millions) et la Turquie (3,079 millions), mais devant la Thaïlande ou l’Espagne. Ce chiffre a explosé en quelques années : il n’était que de 282 000 personnes en 2009 ! En 2014, pour l'île de Crète, les touristes russes constituaient la catégorie de touristes la plus importante, en hausse sur les dernières années. De plus, citant la chambre de commerce helléno-russe, la BBC évoquait en 2012 l’achat de plus de 30 000 biens immobiliers par an par des citoyens russes. Au deuxième semestre de l'année 2014, il convient cependant de noter une diminution du nombre de réservations faites par des tours opérateurs russes en raison de la chute du rouble et du profil économique des touristes russes se rendant en Grèce. Il n’est donc pas étonnant de voir, à la suite de l’Egypte et de la Turquie, la Grèce (et Chypre) annoncer des réductions pour l’été 2015 pour les citoyens russes réservant en avance via tour-opérateurs afin de maintenir le flux de visiteurs russes.

Des relations économiques déséquilibrées par une forte dépendance énergétique

Bien que l’économie grecque bénéficie fortement des échanges agricoles et touristiques avec la Russie, notons que selon le Ministère des affaires étrangères français, c’était la Turquie qui était en 2013 le principal client de la Grèce (11.7%) alors que la Russie était son principal fournisseur (14.5%), indiquant ainsi une inégalité structurelle dans la relation gréco-russe. Les échanges économiques entre les deux Etats révèlent de fait un important excédent commercial russe, du fait notamment de la facture énergétique. Selon les données du Goskomstat russe, les échanges ont été multipliés par cinq entre 2000 et 2013, pour s’établir à 611 millions de dollars d’exportations grecques vers la Russie et 6,245 milliards de dollars dans l’autre sens.

Cette relation énergétique pourrait se consolider avec l’annulation du projet South Stream et son remplacement par le nouveau projet russo-turc validé par Gazprom et Botas, qui permettra a priori à la Grèce de devenir le point d’entrée d’une partie du gaz russe vers l’UE. De ce point de vue, la Grèce rejoindrait la liste des Etats de plus en plus liés à la Russie au niveau énergétique que sont la Serbie (pétrole et gaz), la Hongrie (gaz, notamment stockage, et énergie nucléaire) et l’Autriche (gaz), tous partie prenante dans le défunt projet South Stream et donc a priori preneurs d’alternatives avec la Russie dans ce domaine.

Dans le secteur des transports, si la Chine s’est intéressée au port du Pirée, la Russie s’est intéressée aux chemins de fer grecs. Cela s’inscrit dans une logique européenne plus générale (rachat de Gefco il y a quelques années et annonce récente de fourniture de trains de nuit en France) de la part de la compagnie des chemins de fer russes (RZhD), facilitée par l’opportunité des privatisations imposées par la Troïka. Même en cas d’arrêt du processus de privatisation, la RZhD a déjà fait savoir qu’elle chercherait d’autres voies de coopération avec les chemins de fer grecs.

D’un point de vue purement financier, comme le rappelle le Spiegel cité par Okeanews, la Russie serait, au vu de ses réserves de change et de ses fonds souverains, tout à fait capable de procéder à des ristournes sur le gaz ou d’octroyer un ou des prêts à la Grèce. Elle l’a fait savoir par son ministre des finances Anton Silouanov, bien qu’Alexis Tsipras se borne à déclarer que la Grèce ne va pas négocier d’aide financière avec la Russie « pour le moment », ces derniers mots étant restés ignorés de la plupart des observateurs.

Dans un contexte de crise, les enjeux d'une alliance Grèce-Russie se cristallisent donc autour d'intérêts économiques, qui prennent une importance tout particulière dans le débat actuel sur la position de l’UE dans la crise ukrainienne et les sanctions des 28 contre la Russie.

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Source Photo: Wikimedia