Croatie : Le long chemin européen

Par Maxime Staelens | 24 juin 2013

Pour citer cet article : Maxime Staelens, “Croatie : Le long chemin européen”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 24 juin 2013, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1712, consulté le 06 juin 2023

L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, le 1er juillet 2013, constitue la conclusion d'un parcours entamé en 2001, au moment où le pays est devenu un partenaire privilégié de l'UE via l'Accord de Stabilisation et d'Association. Loin d'être un long fleuve tranquille, les dirigeants croates ont dû passer par de nombreuses étapes avant de devenir le 28ème membre de l'Union.

L'acquis communautaire, le PSA et les Critères de Copenhague

Indépendant le 25 juin 1991, en guerre jusqu'en 1995 (et les accords de Erdut et Dayton), la Croatie a entrepris sa marche vers l'Europe dès ses premiers pas en tant qu'Etat souverain. Le rapprochement entre les deux entités se déroule au début des années 2000. La mort du héros de l'indépendance Franjo Tuđman en 1999, et la défaite conséquente de l'Union démocratique croate (HDZ, droite conservatrice-nationaliste) a permis la prise de pouvoir du Parti social-démocrate d'Ivica Račan, plus européiste que le HDZ. Le 24 novembre 2000, dix mois après le changement de gouvernement, l'Union européenne ouvrait les négociations pour la signature d'un Accord de Stabilisation et d'Association (ASA) avec la Croatie. La signature de l'ASA a lieu à Luxembourg moins d'un an plus tard, le 29 octobre 2001. Requérant l'approbation de chacun des parlements nationaux européens, ce n'est que le 1er février 2005 que l'ASA est entré en vigueur.

Officialisant le rapprochement entre Croatie et UE et donnant au pays une véritable perspective d'adhésion européenne, cet accord pose les jalons des négociations, des discussions et des futures évolutions politiques croates. L'objectif : remplir les critères de Copenhague, établis lors du Sommet de Copenhague en 1993. Ils sont au nombre de quatre, définissant à la fois la condition sine qua non pour tout pays souhaitant rejoindre l'Union européenne, et permettant par-là même de repréciser le cœur du projet européen  :

- Critère politique : « L'adhésion requiert de la part du pays candidat qu'il ait des institutions stables  garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection »,

- Critère économique :  « (…) l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union.» 

- Acquis communautaire (évoqué à Copenhague et formalisé lors du Sommet de Madrid en 1995) : « (…) L'adhésion présuppose la capacité du pays candidat à en assumer les obligations, et notamment de  souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire. »

- Capacité d'assimilation par l'UE : « (…) La capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne constitue également un élément important répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats.» 

Ces critères de Copenhague  se retrouvent à l'article 49 du Traité sur l'Union européenne, traitant également de la procédure de négociation d'adhésion. Une procédure lourde impliquant tant le pays candidat que la Commission européenne, le Conseil, le Parlement européen et les parlements nationaux des Etats-membres.

Le programme CARDS (2000-2006)

Pour assister les pays des Balkans occidentaux dans leur reconstruction et donner une perspective européenne à la région, l'UE a mis sur pied le programme CARDS. Prenant le relais des programmes PHARE et OBNOVA (orientés vers les anciennes républiques du bloc de l'Est), ce programme a permis, entre ses débuts en 2000 à sa disparition en 2006, d'aider à arrimer les pays de la région au Processus de Stabilisation et d'Association. Avec un budget de 4,65 milliards d'euro sur six ans, le CARDS visait les objectifs suivants :

-  la reconstruction;

-  la stabilisation de la région;

-  l'aide au retour des réfugiés et déplacés;

- le soutien de la démocratie, de l'Etat de droit, des droits de l'Homme et des minorités, de la société civile, des médias indépendants et de la lutte contre le crime organisé;

-  le développement d'une économie de marché durable;

-  la lutte contre la pauvreté, l'égalité des sexes, l'éducation et formation et la restauration de l'environnement;

- la coopération régionale, transnationale, internationale et interrégionale des pays bénéficiaires avec ceux de l'Union et d'autres de la région.

Ce programme est également conditionné au respect, par les pays bénéficiaires, des principes démocratiques, de l'Etat de droit, des libertés fondamentales, des droits de l'Homme et des minorités, ainsi qu'à la mise en œuvre des réformes démocratiques, institutionnelles et économiques prévues.

Orienté tant vers la société civile que vers les autorités publiques, ce programme, malgré une importante portée symbolique, n'a que très peu contribué à la reconstruction des pays de la région :

Le programme CARDS était doté de plus d'un milliard d'euros pour sa première année de fonctionnement. Mais son enveloppe globale a ensuite été réduite d'année en année, et ne représentait qu'un peu plus de 500 millions d'euros en 2006. Le soutien apporté aux économies de la région, qui atteignait à l'origine près de 0,9 % de leur PIB, est tombé à moins de 0,4 % en 2006.

Le Sommet de Thessalonique et l'ouverture des négociations

Prolongement du Sommet de Feira de 2000 faisant des pays des Balkans occidentaux des candidats potentiels à l'adhésion, le Sommet « UE-Balkans occidentaux » de Thessalonique du 21 juin 2003 joue un rôle-clé dans les relations entre la Croatie et l'UE. Réitérant le partage des valeurs « de la démocratie, de l'Etat de droit, du respect des droits de l'homme et des minorités, de la solidarité et de l'économie de marché, en étant pleinement conscients qu'elles constituent les fondements mêmes de l'Union européenne », la déclaration conjointe concluant ce Sommet consacre la perspective européenne de la région en établissant un cadre de discussion permanent entre la région et l'UE.

Nous avons décidé de nous rencontrer périodiquement à notre niveau, dans le cadre d'une enceinte UE-Balkans occidentaux, afin de discuter des problèmes d'intérêt commun, d'examiner les progrès accomplis par les pays de la région sur la route qui les mène à l'UE et de procéder à un échange de vues sur les principaux développements intervenus dans l'UE. Des réunions annuelles des ministres des affaires étrangères et des ministres chargés de la justice et des affaires intérieures se tiendront en tant que de besoin. Les pays adhérents et les pays candidats y seront pleinement associés.

Le Sommet de Thessalonique sera suivi par la validation du statut de la Croatie comme pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Selon la procédure spécifiée à l'article 49 du TUE, la Croatie a adressé sa demande au Conseil le 21 février 2003. Après consultation de la Commission européenne – notamment l'analyse des réponses amenées, sur 7000 pages, par les autorités croates à un questionnaire traitant de 4600 points (site web du Conseil représentatif de la Communauté et des Institutions croates de France - Congrès croate mondial en France)– et après l'approbation du Parlement européen, le Conseil accorde à la Croatie le statut de « candidat à l'adhésion » le 18 juin 2004.

 

Les négociations d'adhésion

Initialement prévue au 17 mars 2005, l'ouverture des négociations est repoussée par le Conseil, face à l'absence de résultats dans le traitement du cas Ante Gotovina, recherché par le Tribunal Pénal International. Les négociations s'ouvrent finalement le 3 octobre 2005. Visant à vérifier si le pays candidat respecte l'acquis communautaire, ces négociations sont, dans le cas croate, divisées en 35 chapitres distincts (passés de 31 à 35 suite à une redivision de l'acquis communautaire consécutive à l'élargissement de 2007). Pour chacun des chapitres, un processus en 13 étapes a été appliqué :

1.  Phase I du processus de screening : explication, par la Commission européenne, du contenu du chapitre aux négociateurs croates.

2. Phase II du processus de screening : screening bilatéral, durant lequel les négociateurs croates présentent la situation au pays et le niveau d'alignement actuel avec l'acquis communautaire.

3. Rapport de screening de la Commission européenne : la Commission européenne transmet à la Croatie un rapport sur l'état de l'alignement avec l'acquis communautaire, mettant en avant les points sur lesquels des réformes doivent être menées au pays.

4. Un Groupe de Travail sur l’Élargissement du Conseil (GTEC), sur base du rapport de screening, se réunit afin de décider si le chapitre de négociations peut être ouvert ou si des efforts additionnels doivent être réalisés pour atteindre un niveau d'avancement suffisant pour procéder à l'ouverture du chapitre.

5. Les représentants permanents des Etats-membres interviennent à leur tour pour, soit ouvrir les négociations, soit fixer des étapes à franchir avant d'ouvrir les discussions.

6. Une fois tous les critères fixés atteints, les négociateurs croates soumettent à la Commission un rapport sur les avancées. La Commission évalue ce rapport pour le Conseil de l'UE qui, une fois le contenu approuvé, invite la Croatie à préparer sa position de négociation sur le chapitre en question.

7. La Croatie prépare et soumet sa position de négociation.

8. La Commission européenne prépare un projet de position commune sur base du document soumis par les négociateurs croates, contenant soit des recommandations sur des améliorations, soit un avis pour procéder à la fermeture du chapitre.

9. Le Groupe de Travail sur l'Elargissement du Conseil analyse le projet de position commune de la Commission européenne. Il y propose des amendements éventuels et prépare un projet de position de commune de l'UE sur le chapitre.

10. Les représentants permanents des Etats-membres adopte le projet de position de commune de l'UE.

11. Ouverture formelle du chapitre à l'occasion de la conférence intergouvernementale d'adhésion.

12. Vérification de la conformité avec l'acquis : vérification des avancées croates, en regard du projet de position commune de l'UE sur le chapitre. Sur base de ces discussions, la Commission européenne prépare un projet de position commune pour la clôture du chapitre. Ce projet est soumis au Conseil qui adoptera ensuite ce rapport.

13. Fermeture du chapitre de négociations à la conférence intergouvernementale d'adhésion

(Informations reprises et traduites sur base d'un document téléchargé sur le site de la représentation permanente de la Croatie à l'UE (site désormais hors-ligne)).

L'IAP (2007-2013)

En parallèle des négociations devant aboutir à terme à l'adhésion de la Croatie, l'Union européenne a lancé en 2007, un nouveau programme d'aide aux pays candidats et candidats potentiels et venant remplacer le programme CARDS, l'Instrument d'Aide de Préadhésion (IAP). Établi par le Règlement (CE) n°1085/2006 du Conseil du 17 juillet 2006, l'IAP vise à fournir une aide financière afin que les pays candidats ou candidats potentiels avancent vers la réalisation des critères de Copenhague.

Dans le cas spécifique de la Croatie, cinq volets sont spécifiquement formés :

- le volet «aide à la transition et renforcement des institutions» qui vise à financer le renforcement des capacités et des institutions;

- le volet «coopération transfrontalière» dont l’objectif est de soutenir les pays bénéficiaires dans le domaine de la coopération transfrontalière, entre eux, avec les Etats membres de l'UE, ou dans le cadre d'actions transnationales ou interrégionales.

- le volet «développement régional» qui vise à soutenir leur préparation à la mise en œuvre de la politique communautaire de cohésion, plus particulièrement au Fonds européen de développement régional et au Fonds de cohésion;

- le volet «développement des ressources humaines» qui concerne la préparation à la participation à la politique de cohésion et au Fonds social européen;

- le volet «développement rural» qui porte sur la préparation à la politique agricole commune et aux politiques connexes ainsi qu’au Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Spécifiquement pour la Croatie, trois grands programmes opérationnels pluriannuels ont été établis pour l'attribution des aides :

- le programme opérationnel «Environnement» vise essentiellement à soutenir les projets opérant dans les sous-secteurs de la gestion de l’eau et des déchets. Il aide également le pays à atteindre les objectifs qui lui sont imposés dans le cadre de la mise en œuvre de l’acquis européen en matière environnementale régissant le traitement et l’élimination des déchets, l’approvisionnement en eau potable et la collecte, l'épuration et l’évacuation des eaux usées.

- le programme opérationnel «Transports» subventionne les projets les plus performants dans la modernisation des chemins de fer et le développement de projets de rénovation et d’aménagement des infrastructures fluviales intérieures.

- le programme opérationnel «Compétitivité régionale» a quant à lui pour principal objectif d’accroître la compétitivité et d’équilibrer le développement régional en stimulant la compétitivité des PME et en améliorant les conditions économiques des régions en retard de développement.

Sur la période 2007-2011, la Croatie a reçu un total de 257,4 millions d'euro d'aides financières : 96 millions pour les programmes « Environnement » et « Transports », et 63 millions pour le programme « Compétitivité régionale ».

Accompagnant le processus de négociations en cours entre le pays et les autorités européennes, l'IPA est un instrument important dans le dialogue établi entre l'UE et Croatie. Soumise à une clause de suspension si un Etat ne respecte pas (ou plus) « les principes démocratiques, de l'Etat de droit, des droits de l’homme et des minorités, les engagements contenus dans le partenariat (partenariat pour l’adhésion ou partenariat européen) ou qui ne réalise pas de progrès suffisants concernant le respect des critères d’adhésion ou, dans le cas des pays des Balkans occidentaux, concernant le processus de réformes », l'IAP est donc un outil tant symbolique que pertinent dans l'accompagnement de la mise en œuvre des réformes attendues de la part des pays candidats ou candidats potentiels.

La fin du parcours et le traité d'adhésion

Alors que le premier chapitre a été ouvert le 12 juin 2006, les discussions entre Croatie et UE – gelées pendant quelques mois en 2009 suite au différend avec la Slovénie sur la question du golfe de Piran – dureront un peu plus de cinq ans, concluant le 35ème et dernier chapitre le 30 juin 2011. Suite à l'avis favorable de la Commission européenne le 12 octobre 2011 et du Parlement européen le 1er décembre 2011, le traité d'adhésion est signé à Bruxelles le 9 décembre 2011.

La dernière étape de la procédure d'adhésion était alors de ratifier le traité d'adhésion par la Croatie (le 22 janvier 2012, par voie référendaire, à 66% de votes favorables mais avec une participation de seulement 43%) ainsi que chacun des pays-membres, par voie parlementaire. L'approbation finale a été celle donnée par le Bundesrat, le 7 juin 2013, suivi par le consentement présidentiel de Joachim Gauck.

Conclusion

Vingt-deux ans après avoir déclaré son indépendance, dix-huit ans après l'arrêt des combats, après douze ans de discussions et négociations, la Croatie joint son destin à celui de l'Union européenne. Malgré les ressentiments négatifs actuellement suscités par les politiques européennes, cette nouvelle page possède une forte dimension symbolique pour la Croatie et les Balkans occidentaux. Les conflits des années 90 sont désormais une histoire du passé : comme lors de ses débuts aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, l'Union européenne a contribué à pacifier la poudrière des Balkans.

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Source photo : President Van Rompuy shakes hands with Zoran Milanovic, Croatian Prime Minister, at the official photo opportunity, Brussels, 30 January 2012, Flickr et Croatian Parliamant, 8 aout 2007, Wikimédia Commons.