Coup de coeur bosniaque: "Le jardinier de Sarajevo"

Par Antoine Lanthony | 8 mars 2007

Pour citer cet article : Antoine Lanthony, “Coup de coeur bosniaque: "Le jardinier de Sarajevo"”, Nouvelle Europe [en ligne], Jeudi 8 mars 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/node/101, consulté le 02 avril 2023
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La Bosnie-Herzégovine : pays déchiré par la guerre mais en plein renouveau, indépendant mais divisé en deux entités politiques… Le Jardinier de Sarajevo de Miljenko Jergović est une formidable occasion de découvrir par la fiction littéraire ce pays aux mille facettes.

 

Lorsque l’on parle de littérature des Balkans, le nom qui vient immanquablement à l’esprit est celui d’Ivo Andrić, prix Nobel de littérature en 1961, et auteur notamment du célèbre Pont sur la Drina. Comme Andrić, Miljenko Jergović est né en Bosnie, à Sarajevo. Jergović est né en 1966, neuf ans avant la mort de son aîné, et on peut considérer qu’il est l’un des dignes héritiers de cette littérature slave du Sud dont Andrić est l’icône. L’œuvre de Jergović est largement traduite en anglais, allemand ou français. Ses œuvres les plus connues sont : L’observatoire de Varsovie (1988), Mama Leone (1999), Buick Riviera (2002), ainsi que Le Jardinier de Sarajevo (1994), objet de cet article.

Avec Le Jardinier de Sarajevo (publié initialement en serbo-croate sous le titre Sarajevski Marlboro), recueil de 29 courtes nouvelles, le lecteur plonge au cœur de la vie bosniaque : chacun des récits nous dévoile une ou plusieurs facettes de la vie quotidienne des habitants de Sarajevo et de sa région, rythmée par la guerre et l’éclatement de la Yougoslavie. De l’accumulation de portraits, de décors et d’actions émerge alors une vision kaléidoscopique, vivante et paradoxale du pays. Ces récits se déroulent en effet au cœur d’une Bosnie en plein déchirement politique et humain, mais c’est néanmoins de la vie et de ses péripéties du quotidien dont il est ici question : vie dépeinte à travers l’attention portée à un cactus, la quête quotidienne d’eau potable, la recherche acharnée par un Bosniaque d’une marmite en terre traditionnelle en plein Zagreb ou encore le jardinage improvisé au pied des immeubles, qui refait naître l’espoir en même temps que la pousse des légumes…

Ce jardinier qui vient de perdre Ivanka dans le hall bondé d’un immeuble, que peut-il faire à part ramasser les jerricanes intacts de sa femme et s’en aller ? Combler ce vide si subit ; fumer une cigarette avec Tadija, aller au marché, y acheter des graines de carottes, de betteraves et de laitue. Les premières salades seront échangées contre des cigarettes, qui accompagneront quelques carottes afin de remercier le médecin ayant pris soin des derniers jours de la vie de Tadija… Ainsi vont les évènements autour de ce jardinier improvisé qui est à sa manière un symbole de cette Bosnie mutilée par la violence mais capable de compassion et de renaissance.

Serbes, Croates, Musulmans, boulangers, clients au comptoir d’un café, vieillards, jeunes filles, simples d’esprits, combattants ; tous, dans des situations tragiques ou ironiques, rendent une image à la fois dure, nostalgique et pleine d’espoir de Sarajevo et de la Bosnie. En effet, grâce à un certain détachement et à une relative fatalité, les personnages des différents récits s’éloignent de la réalité cruelle du conflit et nous emmènent vers leur imaginaire, leurs réflexions et leur attachement aux choses simples de la vie.

De ces nouvelles sarajéviennes se dégage le sentiment qu’après l’ère titiste puis les guerres fratricides, la Bosnie et ses habitants, malgré les plaies, conserveront une âme et une approche qui leur sont propres, et leur permettront d’aller de l’avant.

Pour aller plus loin :

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A lire

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Le Jardinier de Sarajevo, Miljenko Jergović , Editions Babel, Paris, 2004
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Le pont sur la Drina, Ivo Andrić, Le Livre de Poche, Paris, 1999