
Le 22 juin dernier, les relations entre les Etats-Unis et les pays dits de la Nouvelle Europe se sont retrouvées au cœur de notre débat. C’est au Bureau d’Information du Parlement européen à Paris que nous avons traité des relations économiques, culturelles et, bien entendu, militaires entre ces pays.

Le 22 juin dernier, les relations entre les Etats-Unis et les pays dits de la Nouvelle Europe se sont retrouvées au cœur de notre débat. C’est au Bureau d’Information du Parlement européen à Paris que nous avons traité des relations économiques, culturelles et, bien entendu, militaires entre ces pays.
Sur la photo de droite à gauche : Denis Badré, S.E.M. Margus Rava, Philippe Perchoc, Odette Hatto-Tomescu et Ronald Hatto (source : Nouvelle Europe) .
Son Excellence Monsieur Margus RAVA, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire d’Estonie en France, nous a exposé la situation particulière de son pays, mais aussi de ses voisins immédiats (Lettonie et Lituanie), notamment vis-à-vis de la Russie. Monsieur Denis BADRÉ, sénateur maire de Ville d’Avray (Hauts-de-Seine, 92) et vice-président de la délégation pour l’Union européenne au Sénat, a tenu à nous rappeler combien l’Europe devait jouer son rôle et se recentrer sur les fondamentaux du projet européen. Enfin, Monsieur Ronald HATTO et Madame Odette HATTO-TOMESCU, auteurs d’un ouvrage récemment paru sur la question des relations entre les Etats-Unis et la Nouvelle Europe, nous ont offert un autre regard sur la question, à la fois géographique, avec une focalisation sur la région de la Mer noire, mais aussi politique, en insistant sur la nécessaire prise en compte des réalités de chaque pays.
Margus RAVA a rappelé, dans un premier temps, le rôle qu’ont joué les Etats-Unis dans le soutien à l’Estonie pendant la Guerre Froide. Deux éléments sont ici à signaler. D’une part, le principe de continuité juridique, c’est-à-dire que l’Etat estonien a actuellement, les mêmes principes de liberté, de droit et de devoir que l’Etat estonien de 1939 : sa continuité a été uniquement interrompue par l’occupation soviétique. Les Etats-Unis ont toujours reconnu comme illégale l’occupation de l’Estonie par l’URSS.
D’autre part, il faut mentionner une organisation, « Droit et Liberté », parmi d’autres moyens de communication (TV, radio, BBC, …), mais les liens de « Radio Free Europe » avec l’Estonie sont peut-être un peu plus fort car l’actuel président [depuis le 10 septembre 2006, Toomas Hendrik Ilves] y travaillait pendant les années 1980. Il a beaucoup collaboré avec l’ancien président, Arnold Rüütel, qui était aussi une figure très symbolique. Pour l’Estonie, comme pour d’autres pays d’Europe de l’Est et d’Europe du Nord-Est, l’exil américain jouait un très grand rôle (Pologne, République tchèque, Lituanie). Ils formaient des communautés en exil, toujours très visibles politiquement.
Depuis l’indépendance, l’Estonie et les Etats-Unis ont continué à entretenir cette relation. Ainsi, pendant les 15 premières années, celles-ci sont se sont développées dans les domaines de l’économie, du commerce, des questions internationales. L’Union européenne représentait à cette époque le commerce entre l’Europe et les Etats-Unis, et non pas un nouveau lien entre les Etats-Unis et l’Estonie.
Les Etats-Unis ont été présents, par exemple, dans le secteur ferroviaire pendant 6 ans dans les années 2000. Mais cette participation a pris fin par la suite, sur volonté du gouvernement estonien. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de discussions dans d’autres secteurs tout aussi stratégiques, comme l’énergie, et plus concrètement, la coopération en matière de schiste bitumineux, qui est une matière première estonienne utilisée pour l’électricité. Celle-ci couvre presque 100% des besoins et l’Estonie est ainsi indépendante en matière d’électricité.
Denis BADRÉ est revenu sur la présence américaine en Europe centrale et orientale ces dernières années et sur les difficultés à faire entendre un point de vue européen. Avant toute chose, il a voulu faire remarquer ici que l’arrivée des nouveaux pays membres dans l’Union européenne a permis de revenir aux fondamentaux pour les anciens membres.
Étant membre du groupe d’amitié France – Pays baltes au Sénat, Denis BADRÉ est très proche de ces pays. Il a ainsi participé à l’organisation du référendum pour l’adhésion lituanienne à l’Union européenne et a à cette occasion animé plusieurs débats dans les universités lituaniennes. La première question que les étudiants lui posait était souvent « pourquoi êtes-vous là ? qu’est ce qu’on va vous apporter ? ». L’Union doit apporter sa part d’Europe, sinon l’Europe ne marchera pas.
Il est aussi membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui est une anti-chambre de l’Union européenne. On mesure très bien là pourquoi ces pays choisissent l’Union européenne et non les Etats-Unis, mais toujours avec une certaine reconnaissance envers les Etats-Unis. Après la chute du Mur, il y a eu beaucoup d’erreurs de dites, de méconnaissance de la situation dans ces pays. "On a cru qu’ils manquaient de prospérité. Beaucoup ont pensé que ces pays en étaient assoiffés, mais ils sont revenus à l’idée qu’il n’y a pas de prospérité sans liberté. Ce qui pouvait être appelé liberté durable, c’étaient les Etats-Unis et non pas l’Europe ; on pensait OTAN. Ce serait l’Alliance atlantique si les pays européens pouvaient peser. Il y a la nécessité d’avoir un pilier européen, pour la sécurité du continent européen."
Il a tenu à souligner que la France a toujours eu une attitude arrogante à leur égard. Le président français de l’époque [
Jacques Chirac] a fait cette bêtise. C’est une attitude regrettable pour Denis BADRE, qui a même ajouté que très souvent la France l’a été à deux avec l’Allemagne. Mais on construit une Europe à 27. Si on ne prend pas tous conscience de l’intérêt commun européen, les Etats-Unis en profiteront largement quand on ne le favorise pas dans bien des domaines. Il faut revenir aux fondamentaux, l’Europe s’est créée pour construire une paix durable, la servir dans le monde, pour promouvoir les droits de l’homme et les diffuser. Une des difficultés de l’Europe à 27, c’est d’avoir une Europe déchirée, où chacun essaie de tirer son épingle du jeu. C’est une honte que les Polonais disent qu’ils n’ont pas réglé leurs affaires avec l’Allemagne. La Pologne doit faire le même chemin que la France et l’Allemagne. [
dit par le Premier ministre polonais le vendredi 22 juin 2007, jour du café européen].
Une question plus polémique est la perception de l’alignement de l’ensemble des nouveaux Etats membres sur la position américaine au moment de la guerre en Irak. Sur ce point, Denis BADRE fait remarquer que s’il y avait eu plus d’Europe politique, davantage de défense existerait ; ce n’aurait pas été un problème, car il y aurait eu une position commune. Le vrai sujet, c’est d’avoir une Europe politique qui puisse peser sur les Etats-Unis dans le cadre de l’Alliance atlantique.
Madame Odette HATTO-TOMESCU, qui est roumaine, a élargi notre propos aux autres affinités que nos amis d’Europe centrale et orientale partagent avec les Américains, notamment le cinéma, l’économie ou la culture. Ce sujet est un des thèmes travaillés récemment pour la publication du livre, dont le but est l’étude de la stratégie des Etats-Unis dans les pays d’Europe de l’Est, c’est-à-dire quels sont les éléments d’attirance vers les Etats-Unis, sur quoi réside cette influence: le s
oft power, la culture ; le
hard power, le militaire ; et le
median power, l’économie.
Il faut insister sur les radios de soutien comme « Voice of America », qui est la base du mythe des Etats-Unis en tant que pays de liberté, soutenues par la société civile souterraine, appuyées par les luttes dissidentes est-européennes au moment où l’information ne pouvait pas pénétrer de l’autre côté du mur.
Les pays d’Europe de l’Est ont été en contact avec la culture américaine, la politique américaine, les émissions musicales. Les Etats-Unis ont construit leur mythe sur la politique étrangère, cela a été très facile pour eux d’arriver en Europe de l’Est, notamment concernant l’Irak, "il y a une obligation de soutien, comme quelque chose qu’on leur doit". Mais il ne faut pas mettre tous les pays dans le même panier, il y a des différences régionales. La Pologne et la Roumanie sont plus attirées que la République tchèque et la Hongrie. En outre, jamais les premiers investissements dans les pays Europe de l’Est ne sont pas venus des Etats-Unis, ils étaient néerlandais, autrichiens, allemands, français, italiens, notamment en raison de la proximité géographique. Cela fait penser au fait qu’en 1993-1994, quand l’espoir de devenir membre de l’UE fut plus clair, les pays de l’Union sont devenus leur principal partenaire économique, mais les Etats-Unis sont toujours restés très importants.
Les points-clés des Etats-Unis sont l’éducation et les « thinks tanks ». Ainsi, il y a de grandes universités américaines en Europe de l’Est, en Bulgarie et Roumanie notamment. Les « thinks tanks », quant à eux, sont des institutions sensées produire des documents, entre autres dans les domaines de la démocratisation et dans la lutte anti-corruption. Mais ils ne sont pas uniquement américains. Il y en a de nombreux qui sont anglais, français et allemands. Mais les premiers sont créés dans les années 1990, et ont attiré beaucoup de jeunes élites.
En ce qui concerne plus précisément le cinéma, il n’y a pas que dans les pays d’Europe de l’est, cela touche globalement plus ou moins tous les pays du monde. La fascination américaine repose plus sur le mythe construit pendant la Guerre Froide. Il reste très important aujourd’hui.
Monsieur Ronald HATTO, quant à lui, est revenu à des questions plus stratégiques, à savoir la place tenue par les Américains dans la vision stratégique des pays d’Europe centrale et orientale. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que la question de la continuité, de la liberté durable restent attachés au président américain dans les pays d’Europe de l’est. L’ancien ministre de la défense roumain avait un dicton. "Depuis Michel le Grand, la Roumanie a toujours été alliée avec la grande puissance la plus éloignée contre la grande puissance la plus proche". L’Europe de l’Est reste inquiète face à la Russie. Aussi, sur les cartes officielles américaines, pendant la Guerre Froide, il a toujours été indiqué que les Etats-Unis ne reconnaissaient pas l’inclusion forcée des pays baltes à l’URSS.
Le mythe américain est très étonnant. En Europe de l’Est, il y a deux pays qui sont les plus grands défenseurs des Etats-Unis : la Pologne et la Roumanie. Une première vague de pays (France, Italie, Canada) avait poussé l’adhésion de quatre pays d’Europe de l’Est à l’OTAN (Bulgarie, Roumanie, Pologne, République tchèque). Les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Islande, qui est d’ailleurs membre de l’OTAN sans posséder d’armée, s’étaient opposés à l’entrée de ces quatre pays. Ils se tournent vers les Etats-Unis, étant donné la puissance militaire et le manque de cohérence de l’Europe en la matière. Les Etats-Unis resteront les grands protecteurs de l’Europe de l’est. M. Chirac a manqué de tact, mais il reste d’accord avec lui. Son épouse n’a pas été du même avis. Mais l’Europe de l’Est a, elle aussi, manqué de tact.
La question irakienne cristallise bien la Nouvelle Europe. Donald Rumsfeld avait qualifié les nouveaux entrants de « Nouvelle Europe » et les anciens de « Vieille Europe ». Ainsi, l’enlisement américain en Irak est-il le prélude à une transformation des relations fortes qui existent entre les Etats-Unis et la Nouvelle Europe ? Et la Vieille Europe dans tout ça ? Margus RAVA a ici précisé qu’il n’y avait pas seulement les pays d’Europe de l’Est. Mais ceux-ci ont aussi exercé la démocratie publique à l’époque où cela a été très commenté par le président Chirac. Lui-même ose dire que la pensée politique estonienne croyait que les relations transatlantiques sont tellement importantes, même dans le domaine économique, de sécurité ou des biens culturels, qu'il faut essayer de surmonter les difficultés rencontrées, notamment concernant l'Irak.
Pour l’Estonie, la situation actuelle en Irak ne se pose pas uniquement sur les relations transatlantiques, mais la sécurité est une question indivisible et elle essayait de contribuer. Par exemple, l’Estonie ne possède pas d’avions de chasse. Les pilotes sont français, volent dans l’espace aérien baltique et utilisent d’autres matériels de l’OTAN et de la coopération transatlantique, mais la sécurité est quelque chose qui outrepasse parfois l’OTAN.
Selon Denis BADRE, on voit bien que les pays de la coalition qui ont suivi les Etats-Unis se rendent compte qu’il faut en sortir. Mais il ne faut pas laisser les Etats-Unis tous seuls. L’Europe doit peser pour sortir les Etats-Unis du bourbier irakien. Là non plus, il n’y a pas de discours cohérent, il n’y a pas de ministre européen des Affaires étrangères, et même la bonne volonté de Javier Solana n’y peut rien : il n’y a pas de volonté européenne. Si tout cela devait se reproduire, cela se passerait de la même façon que pour l’Irak. Il faut une construction européenne de la défense. Ce sera un chemin long et difficile, mais c'est une raison de plus pour aller plus loin, pour taper fort. Au-delà, pour les États-Unis, la vraie Europe, c’est Europe transatlantique, donc à la fois la vieille et la nouvelle Europe, qui se construit autour d’une mer.
Pour Odette HATTO-TOMESCU, c’est un non, tout comme Margus RAVA. De plus, en dehors du dossier irakien, les pays Europe de l’Est renforcent leurs liens avec les Etats-Unis. Il y a en effet cinq bases des Etats-Unis en Mer Noire (trois en Roumanie, deux en Bulgarie). De plus, il y a l’affaire des missiles en Pologne et en République tchèque.
"La grande difficulté quand on pense aux relations avec les États-Unis, c’est la différence entre la perception des élites politiques et celle de l’opinion publique". En Roumanie et en Bulgarie, on a attendu des réformes économiques, la présence en Mer noire, la construction d’un nouvel aéroport et de l’argent, mais rien n’est arrivé. L’opinion est plus ou moins contente car elle a dû payer pour les installations américaines en Mer Noire. Quant les retombées n’arrivent pas, il faut repenser les relations.
Ronald HATTO est quant à lui revenu sur le coût des nouvelles bases en Europe orientale. Les États-Unis voulaient faire des économies en quittant l’Allemagne ; et la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie n’ont pas vu les investissements lourds pour ces installations. De plus, il y a les exigences demandées aux gouvernements pour l'entretien des passages militaires. C’est d’un pragmatisme absolu. Les États-Unis ont été très clairs sur tout ça. Mais il y a beaucoup d’illusion de l’Europe de l’Est à cet égard.
Et ainsi, après le problème européen, il y a l’Irak. Cela ne remet pas en question l’attachement et la fascination de ces pays-là. C’est l’importance du symbole d’être vu comme un allié de Washington. La Pologne est un pays avec une longue histoire, c’est important en terme démographique, politique, et est vu comme un allié fidèle des Etats-Unis dans les pays Europe de l’Est. En Roumanie, il en est de même avec un axe Bucarest – Londres – Washington, ce qui est fort, car elle y croit. Washington et Londres y croient certainement moins, mais symboliquement c’est très important. Malgré les déboires, il n’y a pas de remises en question de la fascination est-européenne face aux Etats-Unis.
Après les présentations des différentes situations, des différentes configurations en Europe de l’Est, le temps des questions est venu. Une première remarque est venue d’un monsieur pour qui ces positions semblent un peu déprimantes. Selon lui, cela confirme que l’adhésion à l’Union européenne n’était pas pour le projet européen mais pour l’argent, le marché unique ; alors que l’OTAN représente l’aspect de sécurité.
Margus RAVA a tenu à démentir cette image. Il nous a rappelé les évènements de fin avril dernier, à savoir les émeutes de Tallin suite au déplacement de la statue du soldat soviétique, ces évènements ayant été en effet assez violents. Les rapports à la Russie ici sont très inconfortables. Des membres du Parlement russe sont venus à Tallin pour demander la démission du gouvernement. Lors du sommet UE-Russie, tout cela était terminé. L’UE a dit que tous les pays de l’Union étaient solidaires avec l’Estonie. La sécurité aussi se fait dans le cadre de l’UE et au sein de l’UE. Il est vrai que très souvent on lit dans les journaux, dans les magazines des histoires sur les fonds structurels utilisés en Estonie et dans les autres pays mais ces évènements d’avril ont montré clairement que ce n’est pas seulement une question d’argent.
En tant que canadien, Ronald HATTO a ici un recul plus objectif par rapport à nous. Il faut souligner qu’il y a des différences entre les pays : entre les élites, qui veulent jouer dans la cour des grands, et les opinions publiques, qui elles sont plus proches de l’UE, elles ont envie de participer à l’Europe. Le troisième élément est ce pourquoi il faut qu’ils choisissent entre l’UE et les Etats-Unis. Mais l'Europe n’est pas pour eux une espèce de protecteur. C’est aussi ce que souligne Odette HATTO-TOMESCU. Étant donnée l’histoire récente, il est logique qu’ils soient plus attirés par les Etats-Unis que par l’UE, mais ils ne veulent plus avoir à choisir. C’est le désir d’appartenir à une structure gagnante. Pour la Roumanie et la Bulgarie, il s’agit de la question de l’insécurité et elles sont plus proches des Balkans, du conflit en Moldavie (cogéré par l'Europe et les Etats-Unis) et la Russie. Ainsi, pour une question de sécurité, les Etats-Unis passent pour un partenaire plus fiable. Sur ce point, Ronald HATTO nous a rappelé que les pays de la CEE se sont eux aussi développés sous le parapluie de l’OTAN. Pourquoi ce serait aussi contradictoire pour eux ?
Une enseignante de Sciences-Po a fait remarquer que le dernier sondage Eurobaromètre 66, paru à l’automne 2006, a interrogé les Européens sur leur sentiment. Ainsi, les opinions publiques des nouveaux Etats-membres sont plus européennes que celles des anciens Etats-membres, notamment en ce qui concerne le traité constitutionnel soutenu par les 2/3 des Polonais. 2/3 des Polonais sont aussi favorables à une politique européenne de défense. Ce sondage a aussi été fait en France et les résultats ne sont pas les mêmes.
Philippe Perchoc, modérateur de la soirée, a ici ajouté que pour certains pays d’Europe de l’Est, ils n'ont rien à perdre. Il y a ainsi 2800 soldats en Estonie. Ils ont aussi soutenu les Etats-Unis en Irak. Quand on a peu de troupes et de moyens, ce n’est pas sans conséquences. Là-dessus, Denis BADRE souligne que les différents états ont des approches différentes sur ces sujets et sur l’engagement militaire à mettre ou non en œuvre.
Si on veut construire une Europe de la défense, il faut qu’une conscience politique européenne émerge pour un engagement européen. Un vrai débat de fond sur cette politique est fondamental. On dit que les questions posées à Monnet et Schuman ont été plus simples, elles étaient autrement difficiles et autrement compliquées, mais elles n’étaient pas plus simples.
Il nous a donné une image : Traian Bascescu, le président roumain, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Le président de la délégation russe lui pose la question suivante : « comment se fait-il que vous autorisiez des bases américaines sur votre territoire ? ». Pour nous, cela fait un retour de 20 à 50 ans en arrière, ce qui justifie une nouvelle fois la fécondité du projet européen. Le président roumain a ainsi répondu en quatre points : il est le président d’un pays démocratique, il est chargé de la sécurité de son Etat (1) ; il est le président d’un Etat qui respecte le droit international en vertu des règles internationales (2) ; la Roumanie est membre de l’OTAN et en tant que membre, pour la sécurité de son peuple, il a accepté des bases de l’OTAN et non des bases américaines (3) ; et enfin, il n’a pas le souvenir qu'il y a 50 ans, ce député se soit ému que des bases soviétiques s’installent sur le territoire roumain.
On retourne trop au débat sur le retour au réel, à savoir combien on a payé, mais on néglige toute une série d’invisible : la paix, on ne voit pas ce que cela coûte. De même, le crédit politique est immatériel, comme ce qui s’est passé en Irlande, en Espagne ou au Portugal. La libre circulation des travailleurs n’a pas de retombées budgétaires. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient et où l’on en est aujourd’hui. L’Europe est un projet à soutenir, à promouvoir. Il faut en retrouver le sens. Il représente la valeur de l’intérêt commun, comme il vient d’être dit au Conseil européen.
La question énergétique est ensuite revenue au cœur du débat. La même enseignante s’est demandée quel était le point de vue des Etats baltes, si politiquement, là, l'Europe ne pouvait pas être un garant de sécurité. Car cette question était prévue dans le traité constitutionnel. En effet, la question de sécurité est majeure pour l’Europe, et là, elle est un partenaire plus évident que les Etats-Unis.
Margus RAVA précise ici que pour l’Estonie, sa base énergétique ne comprenait pas les produits pétroliers. Elle possède du schiste bitumeux, qui est un produit naturel. De plus, en matière électrique, en mai, le premier lien entre les pays baltiques et l’UE, a été établi : un câble électrique entre l’Estonie et la Finlande a été activé. Mais il manque une connexion entre la Lettonie et la Pologne. Par contre, il y a une très bonne connexion entre la Baltique et la Russie. Mais il faut aussi une bonne connexion entre les trois pays. Enfin, il y a un projet en cours, la construction éventuelle d’une nouvelle centrale nucléaire en Lituanie, qui est une nécessité dans ce domaine, et ici l’Europe, notamment la France, a peut-être plus sa place que les Etats-Unis. Il faut une coopération très étroite. C’est aussi pourquoi l'Estonie est avec les autres pays de l’Est en faveur d’une politique énergétique commune.
Avec l’arrivée des prochains nouveaux entrants, Croatie, Balkans, Caucase, la question d’une séparation plus claire des compétences entre l’UE et l’OTAN s’est posée pour l’un de nos participants, c’est-à-dire l’UE conservant le côté civil et l’OTAN s’occupant de tout ce qui est sécurité, international, Russie, questions militaires. Ronald HATTO a répondu en donnant l’exemple de ce qui se passe en République du Congo et de la MONUC, qui est une opération européenne avec des forces polonaises participant à la force européenne. Mais c’est pour lui une question qui mérite d’être soulevée.
Les Etats-Unis restent très importants pour les pays limitrophes de la Russie, ils ont une projection militaire inégalée. En revanche, avec le temps, ne va-t-on pas vers une plus grande européanisation de la politique ? En effet, à court terme, les Etats-Unis restent. Ainsi, après les accords de Dayton, les opérations croates ont été encadrées par d’anciens officiers de l’armée américaine. Ils ont entraîné les Croates et tous ont dit que c’étaient des opérations de l’OTAN. Après Dayton, les Bosniaques ont signé une clause non écrite pour que leurs forces soient entraînées par les Etats-Unis. Il faut donc une vraie volonté européenne. Plus tard, elle sera assez grande pour le faire elle-même.
Les Etats-Unis sont embourbés en Irak, pas la France, pas la Belgique, pas l’Allemagne, pas le Canada. Ainsi, si les Européens veulent déclencher une opération, il faut qu’ils puissent avoir la capacité de le faire. Pour Odette HATTO-TOMESCU, l’Europe de l’Ouest connaît aussi beaucoup mieux ce terrain sensible, mieux que les Etats-Unis.
Philippe PERCHOC a ici redonné une expression souvent citée : « les Etats-Unis font la cuisine et l’Europe la vaisselle ». Il faut une stabilisation de l’Europe en la matière. Les armées européennes ne sont pas habituées à travailler ensemble, leurs matériels ne sont pas forcément interopérables, il ne faut pas oublier non plus les questions de langue. Sur ce point, Denis BADRE insiste sur le fait qu’on devrait aller vers une Alliance atlantique avec deux piliers, forts l’un de l’autre (Europe et Etats-Unis). Ce devrait être cela, l’Europe de la défense, dans le respect de l’Alliance atlantique. La défense est une condition nécessaire mais pas un objectif. Il faut construire un espace dans un avenir que nous maîtrisons, autre que la sécurité et une zone de libre-échange.
Margus RAVA est revenu sur la volonté américaine d’avoir un modèle démocratique dans le monde. Cela lui a rappelé une citation d’un fonctionnaire : « quand les Européens parlent de droits de l’homme, les Etats-Unis parlent de liberté et de démocratie, mais en réalité, ils parlent de la même chose ». Il est important que le terme de Nouvelle Europe puisse comprendre non seulement les nouveaux Etats-membres et l’OTAN en 2004, mais tous ceux aussi qui veulent travailler pour résoudre les enjeux actuels et à venir, faire le projet européen. On n’est pas 10 ou 22, on n’est pas 27.
En guise de conclusion, Philippe PERCHOC ajoute ici, que très souvent, les Pays baltes en particulier, n’ont pas fermé la porte derrière eux. Ils veulent une expansion de la liberté vers des pays comme la Moldavie, eux-mêmes ayant profité des Etats-Unis. Ils y voient une ressource pour continuer le mouvement. Ainsi, Odette HATTO-TOMESCU précise que la Bulgarie et la Roumanie soutiennent en ce moment la Moldavie, les Etats-Unis soutenant, quant à eux, beaucoup la Géorgie en ce moment. Tout cela est lié au mythe des Etats-Unis de l’exportation de la démocratie.
Pour aller plus loin :
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Sur Nouvelle Europe |
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Le dossier du mois : les relations entre les Etats-Unis et la Nouvelle Europe |
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Ailleurs sur internet |
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L'ambassade d'Estonie en France |
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Le portail Europe du Sénat |
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Le portail de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe |
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Le site du Bureau d'Information du Parlement européen en France |
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A lire |
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Les Etats-Unis et la "nouvelle europe", la stratégie américaine en Europe centrale et orientale, Ronald Hatto et Odette Hatto-Tomescu, Autrement CERI, avril 2007. |