Turcs en Allemagne et aux Pays-Bas, Maghrébins en France et au Benelux, Indiens et Pakistanais au Royaume-Uni, Azéris et Géorgiens en Russie… Au-delà de ces flux migratoires importants et connus, parce que souvent visibles, il en est d’autres, intra-européens, parfois méconnus mais tout autant massifs et plus récents. Aperçu des principaux flux migratoires Est-Ouest du continent depuis la chute des régimes communistes.
Principaux mouvements de population
Dès la chute des régimes communistes en Europe, les premières migrations ont commencé. Elles ont d’abord consisté en de nombreux mouvements au sein de l’ex-URSS : retour de nombreux Russes ethniques (au sens soviétique de la nationalité, distincte de la citoyenneté) en Russie ; départ de la majorité des Juifs ; migrations caucasiennes et centre-asiatiques vers Moscou…
En parallèle, les guerres yougoslaves ont vu la fuite de nombreux Serbes, Croates et Bosniaques, principalement vers l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et les pays scandinaves, tandis que se déroulaient les premières migrations de travail (Baltes dans les pays nordiques ; Polonais en Allemagne, Ukrainiens en Russie…).
À la fin des années 1990, les flux migratoires intra-européens (de l’Est vers l’Ouest) se sont accélérés et des tendances lourdes ont commencé à se dessiner. Schématiquement, ces flux vont du Nord-est vers le Nord-ouest et du Sud-est vers le Sud-ouest. Plusieurs spécificités s’y dessinent.
En effet, au contraire de l’Allemagne qui a connu une immigration très diverse en provenance des anciens Etats communistes (retour des Allemands de la Volga ; immigration juive en provenance d’ex-URSS ; travailleurs tchèques, polonais, ukrainiens, russes, baltes, roumains, bulgares ; populations ex-yougoslaves fuyant les guerres), l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et le Royaume-Uni ont accueilli des populations spécifiques.
Ainsi, les Polonais, les Lituaniens, les Lettons et les Estoniens ont clairement privilégié le Royaume-Uni et l’Irlande dans leur migration de travail, sans pour autant négliger les pays nordiques. Ces choix s’expliquent aisément par l’ouverture dès 2004 des marchés de l’emploi irlandais, britannique et suédois à tous les ressortissants des nouveaux États membres de l’UE.
Plus au Sud du continent, les Bulgares et les Roumains (ainsi que les Moldaves voyageant souvent avec un passeport roumain) se sont massivement tournés vers l’Italie et l’Espagne, tandis que de nombreux Ukrainiens ont également rallié l’Italie, mais aussi, plus surprenant, le Portugal, où ils ont été accompagnés par des Russes, des Roumains ou des Lituaniens.
Les conséquences de ces migrations
Malgré la relative difficulté d’obtention de données fiables, nous pouvons par exemple affirmer qu’environ 10 % de la population roumaine (soit plus de 2 millions de personnes en âge de travailler) a quitté le pays depuis 1991. Aujourd’hui, l’Italie et l’Espagne comptent chacune selon diverses estimations entre 600 000 et un million de Roumains.
En Irlande, les statistiques officielles qui présentent le nombre d’étrangers enregistrés sont souvent pointées du doigt pour sous-estimer le nombre d’étrangers, notamment est-européens, présents sur l’île. Le chiffre de 10 % d’Est-européens dans la population totale vivant en Irlande (soit un peu plus de 400 000 personnes) est cependant avancé (dont environ 200 000 Polonais).
Ces migrations sont en outre parfois saisonnières (travaux agricoles en Italie ou en Espagne) et les personnes tendent à conserver un lien avec le pays d’origine, notamment à travers la multiplication de lignes régulière de bus et de vols à bas-coûts. Cependant, les retours définitifs au pays se sont révélés rares alors que les installations définitives et parfois les mariages sur place ont augmenté. Ainsi, empêcher les départs et motiver les retours était devenu avant la crise un véritable défi à Riga, à Sofia ou à Bucarest. Dans le même temps, à l’instar de celui des populations d’ex-Yougoslavie, l’argent des Polonais, Baltes, Roumains, Bulgares, Ukrainiens partis en quête de travail et de salaires plus élevés est vital, non seulement pour les familles restées au pays, mais plus généralement pour les États : combien de rues lettones, roumaines ou ukrainiennes ont pour principal commerce un bureau de change ou de transfert d’argent ?
En effet, les pays d’émigration que nous avons cités ont tous en commun une relative faiblesse de leurs économies et connaissent une baisse de leur population, qui atteint parfois des proportions impressionnantes dans le cas de l’Ukraine, de la Bulgarie, de la Lettonie et de l’Estonie. L’Ukraine, premier pays d’émigration en Europe, subit par exemple trois appels d’air majeurs : l’un vers la Russie où plusieurs millions d’Ukrainiens travaillent ; l’autre vers les pays latins d’Europe du Sud ; le troisième vers la Pologne où les Ukrainiens viennent remplacer les Polonais partis plus à l’Ouest.
De manière générale, ces pays commençaient avant la crise économique à souffrir d’un déficit de main d’œuvre, notamment dans les pays baltes et dans certaines régions polonaises et roumaines. Avec la montée du chômage due à la crise, quelle sera l’attitude de ces différents groupes d’immigrés ? Variera-t-elle en fonction des pays d’origine et de destination ? Envisageront-ils un retour au pays ?
Roumains et Bulgares d’Espagne
Accueil massif d’immigrés marocains, sud-américains, mais aussi roumains et bulgares, régularisation des situations, constructions et spéculations immobilières parfois délirantes… puis crise financière et éclatement de la bulle de l’immobilier : la situation espagnole est passée pour beaucoup de travailleurs immigrés de l’eldorado au cauchemar en quelques jours.
L’Espagne comptait 5,2 millions d’étrangers (plus de 11 % de la population) sur son sol au 1er janvier 2008. Parmi eux, les Roumains formaient le principal groupe avec environ 729 000 personnes et des concentrations importantes dans certaines banlieues de Madrid. Loin de la vague anti-roumaine de fin 2007 en Italie, les relations entre Espagnols et Roumains ne posent semble-t-il pas de problèmes. Les Bulgares se plaçaient quant à eux en neuvième position parmi les étrangers d’Espagne avec environ 154 000 personnes.
Arrivés pour leur quasi-totalité après l’an 2000, les Roumains et les Bulgares d’Espagne ont profité du boom de l’immobilier et des services. Comment vont-ils réagir face à une situation espagnole de l’emploi qui va se dégrader très rapidement pour atteindre selon les prévisions de la Commission européenne un taux de chômage de 20 % fin 2010 ? Alors que quelques médias ont fait état du retour de quelques Bulgares et Roumains au pays, qu’en sera-t-il de la majorité ? Pourrait-elle se tourner vers d’autres États de l’UE moins touchés par la crise, en Europe centrale par exemple ? Alors que la Bulgarie et la Roumanie sont les deux États de l’UE qui devraient voir leur taux de chômage augmenter le moins selon la Commission européenne, un retour massif est-il envisageable ? Même en l’absence de retour, quel impact aura la probable diminution d’argent envoyé au pays par les immigrés ?
L’immigration ukrainienne au Portugal est récente. Une première vague a eu lieu avant l’exposition universelle de 1998. Une seconde vague avant l’Euro 2004 de football. Après quelques fluctuations (certains sont partis en Espagne, attirés par le boom immobilier), la population ukrainienne au Portugal est d’environ 40 000 personnes. Leur poids non négligeable a même poussé une banque ukrainienne à s'implanter à Lisbonne, avec des services en langue russe qui intéressent également les Russes et Lituaniens présents sur place.
En effet, les Ukrainiens ne sont pas les seuls Est-européens présents au Portugal et ces immigrés sont souvent vus comme un groupe homogène : le groupe des immigrés de l'Est, second groupe d'immigrés après celui des Africains lusophones.
À l'avenir, que vont faire ces Ukrainiens du Portugal ? Trois solutions semblent s’offrir à eux : rester au Portugal où leur situation semble plutôt favorable ; rentrer en Ukraine pour ceux qui ont réussi à mettre assez d’argent de côté ; tenter leur chance dans tout autre État de l’UE, y compris la Bulgarie ou la Roumanie, voire en Russie, où les conditions de salaire seront de toute manière meilleures qu’en Ukraine.
Les Baltes d’Irlande sont en premier lieu lituaniens, puis lettons, et enfin estoniens. Les Lituaniens forment, derrière les Polonais, le second groupe d’immigrés est-européens en Irlande. Comme les autres immigrés est-européens, les Baltes ont profité du boom économique irlandais des années 2000. Ils ont de plus été à l’origine de la création des improbables axes Dublin-Riga et Dublin-Vilnius, sur les plans personnels, économiques, voire même politiques puisqu’un parti des Lettons d’Irlande et du Royaume-Uni pourrait être créé.
Ils ont également eu en Irlande un impact important dans le domaine religieux. Les Lituaniens (ainsi que les Polonais) ont en effet permis de donner un nouveau souffle au catholicisme.
De même, les Baltes ont créé des associations à caractère national (letton, lituanien…), des commerces, mais ont aussi parfois reconstitué de manière surprenante la défunte URSS. Ainsi, Lituaniens, Lettons, Estoniens, mais aussi Russes, Ukrainiens… ont fondé le club de football Soviet Union FC, sponsorisé par Western Union, évidemment ! Quant à leur retour au pays, il ne semble pas être à l’ordre du jour, les prévisions économiques pour les pays baltes se révélant pires que pour l’Irlande.
Pour aller plus loin :
- Prévisions économiques de la Commission européenne, janvier 2009
- Réflexion sur la citoyenneté et la mobilité à partir de l'exemple des travailleurs immigrés d'Europe de l'Est, sur Eurotopics
- Les immigrés polonais quittent l’Irlande pour trouver du travail, sur France 24
- Données officielles sur l’immigration en Espagne
- Club de football irlandais du Soviet Union FC
Photo : Magasin polonais à Dublin. Source : Wikipedia