
La Lituanie préside pour six mois le Conseil de l’Union européenne (autrement appelé « Conseil des Ministres »). Les ambitions de la petite république balte sont à la hauteur des succès de sa diplomatie depuis 20 ans. Retour sur deux décennies d’une diplomatie marquée par la volonté.
Une diplomatie parallèle (1987-1991)
La Lituanie est un Etat à éclipses, comme la Pologne. Au cours de l’histoire, plusieurs Etats lituaniens sont apparus sur la carte de l’Europe, sous des formes diverses. Ainsi le Grand Duché de Lituanie a été constitué par le rassemblement des tribus lituaniennes au tournant du XIe siècle, pour devenir un puissant Etat païen, le dernier d’Europe à succomber aux missionnaires. Il s’allia à la Pologne pour faire face aux attaques germaniques du Nord et de l’Ouest, et aux attaques russes de l’Est. Mais cette union sans cesse plus étroite, pour rappeler les termes des traités européens actuels, s’est toujours faite au bénéfice de la Pologne, jusqu’à l’absorption progressive de la Lituanie, ce qui n’allait pas sans tensions.
Après les trois partages de la Pologne (et donc de la Lituanie) à la fin du XVIIIe siècle, cette dernière se retrouva toute entière sous la domination des Tsars. Les Lituaniens tentèrent à plusieurs reprises de secouer le joug russe, mais n’acquièrent leur indépendance qu’après la Première Guerre mondiale. La jeune démocratie lituanienne succomba rapidement, en 1926, à la mise en place d’un régime autoritaire et combattit sans relâche, d’abord par les armes, puis par la diplomatie, la Pologne. Cette dernière s’est en effet emparée de Vilnius que la Lituanie revendique comme sa capitale.
Avec la Seconde Guerre mondiale, la Lituanie est attribuée à l’URSS par les termes de l’accord secret entre Hitler et Staline. Le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939 stipule en effet que la Lituanie fait partie de la zone d’influence soviétique, et la petite république est annexée par Moscou en 1940. Elle est ensuite occupée par l’Allemagne avant de retrouver le giron soviétique en 1945. Aux termes du droit international, cette annexion a été jugée illégale par la majorité des Etats du camp occidental pendant la Guerre Froide.
A la fin des années 1980, la Perestroïka apparut comme un moment spécifique dans l’histoire soviétique, permettant à des tendances nationales antérieures en Lituanie de trouver des formes d’expression que ne soient pas immédiatement réprimées par le régime. En effet, différents mouvements nationaux, dont le Sajudis, ont utilisé la liberté de parole offerte par Gorbatchev pour dénoncer, entre autres, l’annexion de la Lituanie. Une des particularités de l’illégalité de l’annexion des Etats baltes était que les puissances occidentales avaient continué à accréditer les diplomates baltes des républiques indépendantes pendant toute la Guerre Froide. Le Sajudis renoua donc avec ses diplomates en exil, notamment aux Etats-Unis et auprès du Saint-Siège. C’est ainsi une diplomatie parallèle à la diplomatie soviétique qui se mit en place, pour le plus grand embarras des Etats-Unis et des grands Etats européens, ne sachant comment concilier le respect du droit international et leur volonté d’aider Gorbatchev à transformer le système soviétique.
Ainsi, le gouvernement lituanien indépendantiste, élu en respectant les procédures soviétiques, déclara le rétablissement de son indépendance le 11 mars 1990. Moscou rejeta, bien entendu ce mouvement, et la diplomatie parallèle lituanienne ne réussit pas à convaincre les puissances occidentales de reconnaître cette déclaration. Ces dernières insistèrent pour que Vilnius et Moscou négocient un accord. C’est seulement avec le coup d’Etat conservateur de Moscou contre Gorbatchev en aout 1991 que la plupart des Etats du monde se mirent à reconnaître le rétablissement de l’indépendance des Baltes.
Entre temps, le gouvernement lituanien n’avait pas été inactif. Il avait envoyé des diplomates dans de nombreuses capitales occidentales, organisait des voyages ministériels et présidentiels. Ainsi, un diplomate lituanien fut envoyé à Bruxelles auprès des institutions européennes. Selon lui, malgré une certaine incompréhension de la situation, chacun tentait d’influencer toutes les instances qui pourraient agir en faveur du soutien de l’indépendance lituanienne.
Premiers succès et premiers échecs (1993-1997)
Au moment de l’indépendance, les problèmes à régler étaient au nombre de quatre. Le premier d’entre eux était la reconnaissance des frontières actuelles de la Lituanie. En effet, c’est l’Union soviétique qui avait « rendu » Vilnius à la république balte. La Russie ne contestait pas les frontières de la Lituanie, pas plus que la Pologne, mais restait la question épineuse de la circulation entre la Russie et l’enclave russe de Kaliningrad à travers la Lituanie indépendante.
Un autre enjeu était celui du statut des citoyens soviétiques résidents en Lituanie et qui ne pouvaient se prévaloir de la citoyenneté lituanienne. Contrairement à l’Estonie et à la Lettonie, la Lituanie a accordé sa citoyenneté à tous les résidents au moment de l’indépendance, ce qui a facilité ses rapports avec sa grande voisine.
Car l’un des problèmes majeurs des relations russo-lituaniennes des premières années de la nouvelle indépendance est, bien entendu, celui du départ des troupes russes. En effet, cette priorité s’est fait jour dès les premières discussions sur l’avenir du pays. Pour les Lituaniens, seul le départ rapide des troupes peut garantir la nouvelle indépendance des institutions. Pour les Russes, le retour des unités militaires pose un énorme problème logistique. Le Président russe Boris Eltsine demande même l’aide du Président Clinton pour assurer des conditions décentes pour ces unités, en Russie. Rappelons que le début des années 1990 voit aussi le repli de toutes les troupes anciennement soviétiques stationnées de l’Allemagne à la Russie. Vu la situation géopolitique compliquée et les difficultés d’Eltsine à s’imposer à Moscou, la signature d’un accord pour le départ des troupes russes de Lituanie en août 1993 est l’un des premiers grands succès de la diplomatie lituanienne.
Dès ce moment, cette dernière s’affaire à influencer les grands Etats occidentaux pour travailler à son intégration à l’Union européenne, et surtout à l’OTAN. Les Etats baltes sont alors dans une situation spécifique : seules la Slovaquie et la Slovénie négocient aussi des adhésions tout en construisant un nouvel Etat. Tant à Washington qu’à Bruxelles, c’est peu dire que l’enthousiasme pour l’adhésion des Baltes est limité. Pourtant, les diplomates lituaniens font le siège de tous leurs partenaires.
Cela n’est pourtant pas suffisant puisqu’en 1996, au moment des négociations pour un premier élargissement de l’OTAN à la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie, le Secrétaire d’Etat américain déclare à Copenhague que les Etats baltes ne pourront pas faire partie de cette première vague d’élargissement de l’Alliance Atlantique. En effet, Washington navigue entre nécessité de préserver un Président Eltsine secoué par la maladie, les attaques conservatrices et la volonté de soutenir les transformations dans les Etats baltes. Devant les réticences américaines concernant l’OTAN, l’Estonie réorienta radicalement son effort vers l’UE, afin de faire partie de la première vague d’Etats appelés à rejoindre les 15.
En 1997, la Commission européenne publie son « agenda 2000 » et ouvre les portes de l’Union à cinq Etats, dont l’Estonie.
La diplomatie lituanienne se retrouve alors face au défi d’accélérer ses efforts pour intégrer l’UE, tout en restant le chef de file de l’adhésion des Baltes à l’OTAN. C’est par une stratégie de bon voisinage avec la Russie et de transgression des nouvelles frontières européennes que va réussir la stratégie de Vilnius.
En route vers l’Union européenne (1997-2004)
Afin de démontrer la capacité de Vilnius à devenir un lieu de rencontres entre l’Europe centrale et orientale, la Lituanie organisa en 1997 le premier sommet de tous les Etats de l’ancien « bloc de l’Est ». Leurs dirigeants et leurs ministres se rencontrèrent pour la première fois après la Chute de l’URSS, prouvant que Vilnius méritait son surnom de « Strasbourg de l’Est ».
La combinaison entre l’accélération des transformations politiques et économiques pour satisfaire les demandes de l’UE et de l’OTAN, d’une part, et les difficiles relations entre Washington et Moscou, d’autre part, explique que la position des Etats-Unis évolue peu à peu sur une adhésion des Etats baltes à l’OTAN. Ils signent une Charte Etats-Unis / Etats baltes en 1998. Clinton fait comprendre à Eltsine qu’il est totalement hors de question de laisser à la Russie un droit de veto sur l’adhésion des Baltes à l’OTAN. C’est d’ailleurs le changement de leadership dans les deux capitales, avec l’arrivée de Vladimir Poutine à Moscou et de Georges W. Bush à Washington, qui permet aux Etats-Unis de prendre fait et cause pour l’adhésion des Baltes. Il apparaît alors clair que la situation internationale, mais aussi le lobbying très efficace des Baltes, ont été les éléments clefs pour forcer la porte de l’Alliance atlantique.
De son côté, la Commission européenne se laisse convaincre que l’élargissement à l’Europe centrale et orientale doit s’opérer en un seul mouvement. Pour cette raison, on assiste à un « recouplage » entre les trois candidatures baltes et la Lituanie se voit donner 2004 comme perspective d’adhésion à l’Union européenne.
Depuis l’adhésion, la Lituanie est apparue comme un petit Etat aux grandes ambitions. En effet, Vilnius s’imagine jouer un rôle pivot dans les relations entre l’Union européenne et son voisinage oriental. Elle est très active dans le dialogue difficile entre Bruxelles et le gouvernement biélorusse. Par ailleurs, elle s’est montrée volontariste lors de la Révolution orange (2004) et lors de la crise entre la Russie et la Géorgie (2008). Cet activisme dans le cadre des instances européennes et aussi le pendant d’un atlantisme devenu probablement plus réaliste au cours de la dernière décennie. Si la Lituanie avait été le fer de lance d’une Europe centrale soutien des Etats-Unis dans l’affaire irakienne en 2003, la tiédeur des engagements européens d’Obama a laissé comprendre à Vilnius qu’il fallait aussi s’engager dans une politique européenne active.
Un petit Etat au sommet de l’Europe
Depuis le 1er juillet 2013, la Lituanie occupe la présidence du Conseil de l’Union européenne. Elle est le premier Etat balte à assurer cette présidence. Cette dernière a perdu de sa superbe depuis que la présidence du Conseil européen (qui réunit les chefs d’Etats et de gouvernements) et celle du Conseil de l’UE consacré à la politique étrangère européenne (qui réunit les Ministres européens des Affaires étrangères) lui échappent. Mais la Lituanie dispose néanmoins d’un fantastique levier pour faire avancer ses priorités, notamment envers les Etats du voisinage oriental et au sujet de la solidarité énergétique, pendant six mois.
Assurer cette présidence tournante est un défi. En effet, elle nécessite d’importantes capacités de coordination et d’information, ainsi que de solides ressources humaines. Il s’agit pour Vilnius de démontrer à ses partenaires européens que la Lituanie est un petit pays efficace comme le Luxembourg, dont les présidences sont toujours louées. Mais, un retour sur ces vingt dernières années devrait nous convaincre que les Lituaniens ne manquent pas de talent et de ténacité.
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